
Ma grand-tante Flore Frey n’avait pas encore 21 ans mais cela faisait des jours, des mois et même des années qu’elle attendait ce moment là. D’abord, il avait fallu attendre que Fernand, son ami et amoureux de plusieurs années déjà, finisse son service militaire. Deux années qui lui avaient parues bien longues en dépit de ses quelques permissions. Trois mois auparavant soit fin septembre 1909, il était revenu pour de bon et ils pouvaient enfin penser à leur avenir. Ils devaient se marier le samedi 15 janvier 1910 à la mairie de Choisy-le-Roi pour se rendre après à l’église de son quartier pour la cérémonie religieuse. Ensuite, elle irait probablement s’installer avec Fernand à Alfortville à quelques kilomètres de Choisy-le-Roi en direction de Paris.
Alors qu’elle préparait les derniers détails, tout ce dont Flore entendait parler depuis plusieurs jours c’était de la Seine qui n’arrêtait pas de monter. Il faut dire que depuis l’automne il avait beaucoup, beaucoup plu sans parler de la température plutôt douce pour la saison.

Extrait de Choisy Céramique, brochure d’exposition
https://www.choisyleroi.fr/wp-content/uploads/2015/10/Choisy-céramique.pdf
D’ailleurs, tous les jours en rentrant chez elle, avenue de Villeneuve-St-Georges, à Choisy-le-roi, elle pouvait voir à quel point le niveau avait monté car sa rue longeait le quai des Gondoles sur la rive droite de la Seine. Quand elle traversait le pont, elle pouvait aussi apprécier la force du courant qui transportait des morceaux de bois et autres matériaux.
À Paris aussi on surveillait la montée rapide des eaux du fleuve.

Flore vivait à Choisy-le-Roi depuis bientôt trois ans avec sa mère, sa soeur Madeleine qui allait avoir 19 ans le 24 janvier et ses deux frères cadets Lucien et Jean Pierre âgés respectivement de neuf et seize ans. Sa soeur aînée Christine et sa famille vivaient aussi avec eux incluant son mari Edouard Guillaumant et leurs deux jeunes enfants; Gilberte âgée de cinq ans et Roger qui avait fêté ses deux ans l’été précédent.
Quelques mois avant la naissance de Roger, en août 1907, ils avaient tous quitté Paris pour s’installer dans une villa ou un petit pavillon comme on en voit tant dans la banlieue parisienne. Il était situé dans un quartier en développement depuis une dizaine d’années, le quartier des Gondoles, pas très loin de la gare ce qui permettait de se rendre facilement à Paris.

https://www.choisyleroi.fr/wp-content/uploads/2015/10/Choisy-céramique.pdf
De plus, Choisy-le-Roy était une cité prospère avec de nombreux artisans faïenciers et porcelainiers ainsi que quelques grosses manufactures de céramique et de tuiles. Cette prospérité se manifestait par de nombreuses demeures particulières et maisons bourgeoises avec un goût pour les belles choses. Un environnement propice à l’établissement d’un tapissier en ameublement comme Edouard Guillaumant qui pouvait restaurer et recouvrir toutes sortes de fauteuils, sofas et têtes de lit ainsi qu’habiller les fenêtres de rideaux et tentures.
La famille, qui était tissée serré, avait déménagé peu de temps après la mort de leur père Jean Adam Frey à l’hôpital de la Charité de Paris, au 47 rue Jacob, en février 1907 afin de pouvoir s’entraider et répondre aux besoins de tous ses membres. Leur mère, Marie Flore Victorine, qui préférait se faire appeler Aline (voir A comme Aline), âgée de quarante six ans avait encore quatre enfants à charge. Flore, la plus vieille, n’avait alors que 17 ans tandis que le plus jeune venait d’avoir 6 ans.

Si la cérémonie fut des plus élégantes et réussies comme en témoigne encore leur photo de mariage, quelques jours plus tard, la Seine commençait à sortir de son lit et à inonder Paris mais surtout sa banlieue et plus particulièrement la région du Val de Marne. La villa de Choisy-le-Roi avait été une des premières sinistrées dans une municipalité qui allait bientôt être presque entièrement submergée. De plus, Alfortville, où demeurait ses beaux-parents et où elle vivait probablement suite à son mariage, s’était retrouvé pris en étau entre la Seine et son affluent la Marne qui bien vite déborda également.



Je n’ai pas d’information sur comment les deux familles s’en sont sorties. Cependant, j’imagine que comme des milliers d’autres sinistrés, ils ont dû rapidement ramasser le peu de biens et meubles qu’ils avaient pu sauver des eaux afin de se relocaliser et retourner sur Paris où ils avaient de la famille et où les secours étaient beaucoup plus importants. Alors que c’est le 28 janvier que la Seine fut à son plus haut niveau, nombreuses sont les familles qui, après avoir essayé de gérer la situation, ont dû être évacuées en barque tant tout s’est passé vite.

Heureusement, il y avait les soldats de la marine et ceux du génie qui avaient été appelés en renfort et qui s’occupaient de transporter les sinistrés et de construire des passerelles et des échafaudages.

https://www.20minutes.fr/paris/diaporama-1007-photo-483627-la-grande-crue-de-1910
Ensuite, avec la décrue qui dura plus de trente jours, les scènes de désolation se succédèrent car l’eau avait laissé des dégâts matériels partout : des caves inondées, des tas de débris et de gravats, des rues défoncées, des voies de chemin de fer inutilisables, des immeubles effondrés, etc.

Alors que plus de 150 000 parisiens doivent être secourus, ce sont environ 200 000 personnes des banlieues qui sont venues chercher refuge à Paris mieux équipée et organisée. Si les eaux sont montées en une dizaine de jours, il a fallu attendre plus d’un mois avant que la Seine revienne à son débit habituel et encore plus longtemps avant que les habitants retrouvent une vie normale.


À la fin de 1910, les Frey et les Guillaumant sont établis à Neuilly-sur-Seine dans une section de la ville éloignée du fleuve et qui n’avait pas été inondée. Flore et son mari Fernand vont, quant à eux, choisir de s’établir sur la rue Malher dans le 3e arrondissement de Paris où Fernand est né et a grandi.
Il en est probablement mieux ainsi car dix mois plus tard, plusieurs quartiers sont à nouveau inondés comme en témoigne cette édition du supplément Illustré du petit journal du 27 novembre 1910.

Un avis sur « I comme Inondations du siècle »