
Des Lorcia, il n’y en a pas dans notre famille (en tout cas, pas à ma connaissance) et pourtant Suzanne Lorcia est bien ma grand-tante. Suzanne, née Ferreri, a vu le jour en décembre 1902 dans le 2ème arrondissement de Paris. Son père, Thomas Esposito Ferreri dont je sais encore fort peu de chose était tailleur. Sa mère, née Janne Carlotta Campo à San Remo dans la province d’Imperia au nord de l’Italie, se faisait appeler Charlotte. Son grand-père maternel Ignazio Campo était musicien. On m’a aussi mentionné à plusieurs reprises des origines siciliennes et la ville de Palerme a été mentionnée. Surement du côté paternel et potentiellement du côté maternel car les Campo semblent avoir beaucoup voyagé avant de s’installer temporairement en Ligurie. Ces origines siciliennes sont également mentionnées sur la page consacrée à Suzanne Lorcia sur le site “étoiledelopera.e-monsite.com”.
Entrée à dix ou onze ans à l’Opéra de Paris, Suzanne y a reçu sa formation de danseuse classique. À quatorze ans, elle fait partie du corps de ballet et gagne déjà sa vie. Nommée première danseuse en 1927 par Jacques Rouché, qui dirigea l’Opéra Garnier de 1915 à 1945, elle est promue danseuse étoile à l’Opéra de Paris en juillet 1930, à l’âge de 27 ans. Dès 1926, alors qu’elle n’a que 23 ans, on parle régulièrement d’elle dans les journaux.


Journal le Paris-Midi édition du 25 juillet 1930
Reconnue pour sa grâce et son élégance, son répertoire est tant classique que moderne alors qu’elle travaille beaucoup avec Serge Lifar. Sa carrière l’a amenée en tournée à travers la France et de nombreux pays. Elle danse aussi lors de réceptions comme la représentation de gala donnée à l’Opéra en juillet 1936, à l’occasion de la visite du roi George VI et de sa fille, la future Elizabeth II d’Angleterre.

En décembre 1935, lors de l’inauguration du poste de télévision de la tour Eiffel, puis à nouveau en mars 1939, lors de la démonstration sur

grand écran au Théâtre Marigny, elle participe aux premiers enregistrements et diffusions de la télévision nationale française.

Journal Paris Soir, numéro du 25 janvier 1936
De plus, au milieu des années 30, alors qu’on ne parle que de leur dernier film et en réaction à l’engouement suscité par Fred Astaire et Ginger Rogers, elle envoie des articles et des lettres ouvertes aux journaux comme Paris Soir pour se plaindre du peu d’intérêt accordé à la danse par le cinéma français et affirmer que la France a des artistes aussi talentueux que les deux stars américaines. Elle profite de sa notoriété pour déplorer, entre autres, que le cinéma ne soit pas utilisé pour documenter les chorégraphies et le travail des artistes et servir ainsi d’outils de référence.

Suzanne Lorcia une des trois étoiles du ballet Sylvia de Serge Lifar, Février 1941
Photo : Zucca, André (1897-1973)
Pendant les années de guerre, son association de longue date avec Serge Lifar va se révéler très utile. Comme le décrit Édouard Bonnefous page 26 de son ouvrage “Avant l’oubli La vie de 1940 à 1970” publié chez Nathan en 1987 : “Serge Lifar triomphe Le monde de la danse est incontestablement dominé pendant la guerre par Serge Lifar, qui est à la fois admiré par les Allemands – Goering est allé jusqu’à lui proposer le poste de directeur des Ballets de la Nouvelle Europe – et adulé par son public.

réglé par Serge Lifar, Février 1941
Répétitions avec Lycette Darsonval, Solange Schwartz, Suzanne Lorcia et la troupe du ballet de l’Opéra de Paris
Photo : Zucca, André (1897-1973)
Yvette Chauviré, Suzanne Lorcia, Solange Schwarz et Lycette Darsonval sont les étoiles du moment avec Lifar lui-même et Serge Peretti.”… “ Aux lendemains de la libération, Serge Lifar quittera l’Opéra de Paris, où il aura été l’homme-orchestre de ces années, pour animer les Nouveaux Ballets de Monte-Carlo’’.
La guerre finie, Suzanne ne semble pas avoir été inquiétée ou suspectée de collaboration avec l’occupant Nazi. Il n’en fut pas de même pour Serge Lifar qui était Russe. Celui-ci fut finalement exonéré mais préféra quand même aller s’installer dans la principauté de Monaco.

Quant à Suzanne, selon la page web mentionnée plus haut : “Elle fait ses adieux à la scène en 1950 puis devient professeur de danse classique. Elle enseigne au ballet de l’Opéra et à l’école de danse de l’Opéra de Paris de 1947 à 1960, puis ouvre un cours de danse rue Chaptal.”
Suzanne, je l’ai connue quand j’étais petite alors que je suivais des cours de piano et de danse à son studio. On entrait d’abord dans un bureau puis dans la grande salle de danse avec un piano à droite de la salle dont les murs étaient couverts de miroirs. Les plafonds étaient très hauts et du côté gauche on accédait par un escalier en colimaçon à une galerie d’où on pouvait regarder les danseuses car c’étaient essentiellement des classes de petites filles.

Quelques années plus tard, ma mère ayant abandonné toutes velléités de faire de moi une danseuse ou une musicienne, nous allions la visiter chez elle Avenue Marceau dans le 16eme arrondissement, tout près de l’Arc de Triomphe. Cela faisait déjà plusieurs années qu’elle habitait le 16eme. Ainsi en 1936, elle réside Boulevard Lannes avec sa cuisinière qui va la suivre toute sa vie.

Femme fière avec beaucoup d’élégance et de prestance, par choix, elle ne s’est jamais mariée et n’a jamais eu d’enfants. À une époque où les droits des femmes étaient encore bien restreints, elle vivait en femme libre. Son autonomie financière lui permettait d’avoir son propre appartement tel que nous l’apprend le recensement de 1931. Elle demeure alors rue de Rossini à quelques rues du Palais Garnier et vit seule bien que ses parents et son frère habitent le même immeuble. Elle déclare alors être artiste de variétés.
Reçue dans les fêtes, réceptions et événements, elle connait et fréquente le Tout-Paris et sort surtout avec des hommes riches, qui savent combler son goût du beau et du luxe. D’ailleurs, elle disait souvent que la vie ne valait la peine d’être vécue que pour le superflu. Je me souviens que son superbe appartement était meublé dans le style Art Déco.

Les designers qui décoraient son appartement étaient suivis par les magazines de décoration et certaines des pièces de son mobilier ont été photographiées à ces occasions.
Bien qu’elle ait probablement moins souffert que bien d’autres, elle avait connu les contraintes et les privations de la guerre. Aussi, se contenter de pouvoir manger, dormir et travailler, pour elle, ça confinait à survivre sans plus. Or, elle voulait vivre à part entière.

Elle devait, sans aucun doute, faire envie à plusieurs comme le démontre une petite anecdote. Ainsi, en 1934, elle se plaint d’être victime d’une usurpation d’identité comme le relate le journal Comoédia du 24 janvier 1934.
“Ce qui m’arrive est inadmissible : depuis tantôt six mois, une jeune femme dont j’ignore absolument tout, se fait passer pour moi, donne des rendez-vous galants en mon nom et pousse même l’audace jusqu’à envoyer à mon adresse, à l’Opéra, ses notes d’hôtel.”

Mais l’affaire n’en resta pas là car, quelques jours plus tôt, ayant fait sa petite enquête, elle avait déposé une plainte auprès du parquet de Paris comme en témoigne un article du Paris-Midi daté du 15 janvier 1934.
Il existe sur YouTube plusieurs vidéos dans lesquelles on peut la voir danser avec Serge Lifar ou encore avec Serge Perretti dans la Suite de danses d’Ivan Clustine, en 1936.
À l’époque, comme de nos jours, il n’était pas rare pour les artistes de prendre un pseudonyme. Cependant, je ne sais pas pourquoi elle a choisi Lorcia comme nom de scène. Il s’agit peut-être du nom d’une parente que je n’ai pas encore réussie à retracer. Souhaitons que des recherches plus approfondies pourront apporter un nouvel éclairage sur la question.

Décédée en 1999, Suzanne est enterrée au cimetière de Passy dans le 16e arrondissement où elle a longtemps vécu. Sa tombe très sobre est simplement décorée d’une étoile.
I hope that this comment will appear as it is unclear to me if it is posting. Nothing ventured, nothing gained! What a fascinating, accomplished woman she was. The photographs are beautiful. What I would love to hear are some of your thoughts or reactions to her.
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Yes indeed she was very special and quite ahead of her time! A friend of mine think she is kind of a movie character. I think she is right.
When I knew her, I was very young. I must have been 16 or maybe 17 on my last visit. Although I knew her, she imposed respect and was even a bit intimidating. One of my last memory of her is that when we arrived at her appartement, she was listening to the radio and it was still in the background when we sat down. They were talking about someone, most likely an artist, and started discussing her/his private life. Suzanne suddently stood up, started shooting at the radio « We don’t give a damn! » and shutted down the sound. Being an artist regularly followed and mentionned in newspapers, she was always very protective of her privacy. Which is quite French by the way and even protected by law.
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interesting!
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