
Comme je l’ai mentionné dans mon article E comme entreprise Guillaumant père et fils, à la fin du 19ème siècle, mon arrière-grand-père, Hippolyte Guillaumant tenait avec sa femme Élise Augustine Boulet, une boutique de tapissier, au 28 de la rue Monsieur le Prince. Cette boutique où ils vendaient aussi des meubles était juste en arrière du théâtre de l’Odéon qui était à l’époque le siège de la Comédie-Française.
Or, selon les dires de certains aînés de ma famille, une certaine collaboration se serait établie entre la boutique et le théâtre qui y a peut-être loué des meubles ou des accessoires ou encore fait faire des travaux de réfection sur des meubles servant aux décors ou même des panneaux décoratifs servant en arrière-fond. Avec le temps, la collaboration semble s’être élargie car on me dit que mon grand-père Édouard Guillaumant était un employé du théâtre, probablement dans la section décors.
Cette collaboration allait, avec le temps, se transporter du théâtre au cinéma. Le cinéma français, né 1895 grâce aux frères Lumière, en était encore à ses premiers balbutiements et multipliaient les expériences incluant l’adaptation de pièces de théâtre et de romans ainsi que le développement de scénarios originaux.
Nombreux sont ceux qui ont migré du théâtre au cinéma. Il suffit de penser aux metteurs en scène, décorateurs, costumiers, maquilleurs, éclairagistes et comédiens. C’est ainsi qu’en tant que tapissier ayant une certaine expérience du théâtre, mon grand-père Édouard Guillaumant a commencé à travailler pour la société cinématographique Éclipse.
Ainsi, si Édouard est encore tapissier à la naissance de son fils Roger en 1907, sept ou huit ans plus tard en 1915, on le dit machiniste lors de la déclaration de naissance d’André, son deuxième fils. Cette déclaration a été faite en son absence car il était déjà parti pour la guerre (voir D comme Décédé à l’ambulance).

Suite à leur retour sur Paris, après les inondations de 1910 (voir I comme Inondations du siècle), la famille s’est installée à Neuilly-sur-Seine. Comme en témoigne sa fiche militaire, Édouard a trouvé du travail au 32 rue de la Tourelle, à Boulogne-Billancourt, situé de l’autre côté du Bois de Boulogne. C’est là que la société Éclipse a ses studios de tournage.

Éclipse, qui a été en activité de 1906 à 1923, est une des sociétés françaises de production et de distribution de films les plus importantes des débuts du cinéma. Voici quelques extraits tirés de l’article d’Emmanuelle Champomier
Chercheuse postdoctorale (Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, Cinémathèque française) « Éclipse, la face cachée de l’histoire du cinéma / Histoire du cinéma en France de 1908 à 1919 » paru en 2018.
« L’agence française de la Charles Urban Trading Company est établie à Paris en 1904 par George Rogers, qui travaillait à la Warwick Trading Company depuis 1900, notamment comme opérateur de prise de vue, et en dirigeait déjà la succursale à Paris.
La Société Générale des Cinématographes Éclipse conserve le même siège social, au 33, passage de l’Opéra, Galerie du Baromètre, dans le 9e arrondissement de Paris. Dotée d’un capital de 600 000 francs à sa création, elle procède à des augmentations successives de son capital et à des rachats d’autres firmes, à commencer par sa maison mère la Charles Urban Trading Company, puis la Société Générale desCinématographes Radios en 1908.
Elle devient dès lors l’une des sociétés cinématographiques dominantes de l’époque, à la suite des sociétés Pathé, Gaumont et Éclair, et adopte ce que Youen Bernard appelle « une stratégie de “suivisme” ». Outre la grande part de documentaires et d’actualités, héritée de sa filiation avec la Charles Urban Trading Company, elle s’engage ainsi dans une diversité de productions afin de concurrencer ses consœurs majeures : des films historiques et artistiques et des adaptations de pièces de théâtre à la manière du Film d’art, de la SCAGL et de l’ACAD ; des séries de films policiers basées sur un personnage, tel que Nat Pinkerton, interprété par Pierre Bressol, qui incarnait déjà Nick Carter dans la série de films produite par Éclair ; des séries comiques, comme Arthème ou Polycarpe réalisées par les frères Ernest et Charles Servaès, à l’instar des séries Max et Rigadin chez Pathé ou Calino chez Gaumont par exemple ; etc. Durant la Grande Guerre, Éclipse est par ailleurs autorisée au même titre que les trois autres firmes à envoyer un opérateur sur le front au sein de la Section Cinématographique de l’Armée (SCA), Émile Pierre. Bien que marginaux, Youen Bernard a également recensé des films d’autres genres : films fantastiques, fééries, dessins animés d’Émile Cohl, westerns tournés par Jean Durand, Joë Hamman et Gaston Roudès (notamment la série Arizona Bill). En somme, une production riche et diversifiée, réalisée et interprétée par des grands noms de l’histoire du cinéma, tels que, outre ceux déjà cités : Henri Desfontaines, René Hervil, Louis Mercanton pour les réalisateurs, Harry Baur, Simone Genevois, Suzanne Grandais, Jacques Grétillat, Paul Guidé, Jean Marié de L’Isle ou encore Max Maxudian pour les acteurs.«

Henry-Houry sur les défis du métier mais aussi le rôle des
machinistes Extrait du Ciné-journal du 14 août 1920 / Gallica
Un amusant article sur le travail de metteur en scène écrit en 1921 traite également du travail du machiniste en ces termes: « … Des machinistes qui posent les décors du studio dans lequel on exécute le scénario; des meubles installés par les machinistes qui posent les décors du studio dans lequel on exécute le scénario ; des accessoires qui complètent les meubles installés par les machinistes qui posent les décors du studio dans lequel on exécute le scénario… »
Édouard n’est pas le seul de la famille à travailler chez Éclipse, son jeune frère Paul Guillaumant qui a aussi appris le métier de tapissier avec leur père y travaille également ainsi que sa femme Christine Frey qui est couturière-habilleuse. On peut les voir sur quelques photos prises dans les studios qui ont été conservées précieusement par la famille.

et son frère Paul (quatrième à partir de la droite, 2e rangée)
On peut noter les grandes verrières pour laisser entrer la lumière du jour
(photo colorisée avec le procédé de MyHeritage)
D’ailleurs, il semblerait que mon grand-père s’était lié d’amitié avec le producteur, metteur en scène et acteur Louis Mercanton. Celui-ci tournait beaucoup dans les années 1910. Il a, entre autres, tourné en 1912 « Les amours de la reine Élisabeth » mettant en vedette Sarah Bernhardt qui fut un grand succès à l’étranger comme en France. Mais aussi « Les amours d’une actrice » et « Adrienne Lecouvreur » en 1913 comme en témoigne cet article de Victoria Duckett publié en 2018 : The Actress-Manager and the Movies: Resolving the Double Life of Sarah Bernhardt.
Je ne sais pas exactement quand mon grand-père et Louis Mercanton ont travaillé ensemble pour Éclipse mais avant de partir à la guerre en 1914, Édouard lui avait fait part de ses inquiétudes pour sa famille et Mercanton lui aurait promis de veiller sur eux. Promesse qu’il aurait tenue.

Comoedia, suite à la mort de Louis Mercanton
Cela semble être tout à fait en lien avec la personnalité de Louis Mercanton dont on faisait l’éloge au moment de sa mort en 1932 dans ces termes : « Coeur d’or, bienveillant, indulgent, possédant toutes les qualités, Louis Mercanton était adoré de tous : artistes, auteurs, état-major des studios, tout le monde, depuis le plus modeste machiniste jusqu’aux plus célèbres vedettes, éprouvait pour l’homme bon et loyal qu’était Louis Mercanton un profond attachement et une très grande sympathie ».

frère de mon grand père Édouard sont assis sur les marches (photo colorisée avec le procédé de MyHeritage)


avec ses deux aînés vers 1919-20,
à l’époque où ils faisaient de la figuration
Ainsi, en 1921, Christine qui est veuve de guerre depuis 5 ans avec trois enfants à charge travaille toujours pour la Société Éclipse comme en témoigne le recensement de Neuilly-sur-Seine. Elle y travaillera probablement jusqu’à la fermeture en 1923. Comme on peut le voir, d’autres membres de la famille ont un métier dans le domaine du cinéma la belle-soeur de Christine, Émilienne qui a récemment épousé son frère Jean et qui est monteuse de films. De plus, ses enfants sont régulièrement embauchés comme figurants dans les films d’Eclipse.
C’est durant cette période qu’elle fera la connaissance de Paul Poirier qui est régisseur de plateau et qui deviendra son ami.

avec sa casquette et son beau-frère Paul Guillaumant, avec un chapeau melon
(photo colorisée avec le procédé de MyHeritage)
Si de nos jours, les studios de la rue de la Tourelle ont complètement disparus pour être remplacés par des habitations, Boulogne-Billancourt a été longtemps un haut lieu du cinéma français et ses studios servent maintenant aux productions télévisuelles.
Love the colourized pictures! Great details in the story. How interesting. Good links to t=other information. Format very readable
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Thanks. Yes the pictures are a big hit!
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Bonjour et bravo pour cet article
Pourriez-vous me dire si vous avez des informations sur Gaby deslys, qui tourna pour Eclipse LE DIEU DU HASARD? 1920.
Merci bcp
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Bonjour et merci pour vos encouragements. Pour répondre à votre question, non, je n’ai pas d’information au sujet de cette artiste. De plus, je ne me souviens pas avoir croisé son nom lors de mes recherches. Bonne continuation dans les vôtres.
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