
« Ondoyé en péril de mort », « Ondoyé à la maison » et « baptême sous condition » sont des expressions que l’on rencontre régulièrement quand on déchiffre les registres paroissiaux. Même si, par chance, ces situations ne concernaient généralement pas ma famille, en cherchant un peu, j’ai pu trouver quelques exemples familiaux.
C’est entre autres le cas de la famille Judas. Comme je le mentionne dans J comme Prosper Judasse et ses origines, ses grands-parents Jean Étienne Judas, tonnelier et sa femme Marie Claude Jumeaux ont eu 12 enfants sur une période de plus de 20 ans allant de 1754 à 1775. De ces cinq garçons et sept filles, seulement six enfants ont survécu plus que quelques mois. Une de leurs filles est morte dans la vingtaine, leur laissant deux garçons et trois filles.

Leurs deux filles aînées se sont mariées à Monampteuil et ont eu des enfants. À chaque accouchement, elles ont fait appel à leur mère Marie Claude Jumeaux pour les aider avec leurs relevailles et pour assister la sage-femme. Les premiers accouchements semblent se passer assez bien. Ainsi Angélique, l’aînée, accouche de deux garçons : le premier en 1783, le second en 1786.
Les choses se corsent avec les suivants. En février 1787, le troisième enfant est ondoyé par la sage-femme à peine sorti du ventre de sa mère. Même chose pour un garçon né en mars 1788. Les deux derniers d’abord un garçon en novembre 1789 puis une fille en décembre 1790, pourtant tous deux accouchés par un maître chirurgien, seront aussi ondoyés. J’imagine qu’à chaque grossesse, les risques augmentaient de perdre l’enfant, la mère ou même les deux.

5Mi0134 – 1772 1790 Archives de l’Aisne
L’an Mille sept Cent quatre vingt huit Dimanche deux mars a été ondoyé à sa maison à cause du péril de mort un garçon, ledit ondoiement fait aussitôt qu’il fut né du légitime mariage de Jean Claude Thiesine tonnelier et de Marïe Jeanne Angélique Judas son Épouse de cette paroisse ainsi qu’il nous Conste par l’examen que nous avons fait de la Manière dont a été administré ledit ondoiement ou baptême et en avons icy donné acte en présence de Marïe Nicolle Lutigneau femme de Joseph Jofé jardinier de cette paroisse et Sage femme qui a baptisé l’enfant, de Marïe Claude Jumeau femme d’Étienne Judas tonnelier de cette paroisse ayeule maternelle de l’enfant et Jean Claude Thiesine père de l’enfant qui nous a rendu compte de l’ondoiement ou baptême et ont signé Signatures: Thiessine, N Lutignaux et Luce curé
Chaque fois que la sage-femme ou le chirurgien ont eu recours à l’ondoiement, le curé de la paroisse de St Remi a mené sa petite enquête auprès des personnes présentes, incluant le mari et la mère, pour s’assurer que les sacrements avaient été donnés selon un rite bien établi et prescrit comme en témoignent ces quelques extraits :

5Mi0134 – 1772 1790 Archives de l’Aisne
L’an Mille Sept Cent quatre Vingt dix vendredi trois Décembre a été ondoyé par Antoine Marteau Maître en Chirurgïe de cette paroisse à cause du péril de mort une fille en naissant du légitime mariage du sieur Claude Thiesine tonnelier et de Marïe Jeanne Angélique Judas Son Épouse de cette paroisse ainsi qu’il nous conste par l’examen que nous avons fait de la manière dont a été administré ledit ondoiement ou baptême en lui avons icy donné acte en la présence dudit Antoine Marteau qui a baptisé l’enfant et en présence de Marïe Claude Jumeau femme de Étienne Judas tonnelier de cette paroisse ayeule de l’enfant qui nous ont rendu compte de l’ondoiement ou baptême et ont signé avec nous curé de cette paroisse lesdits jour et ans. Signatures: Marie Claude Jumeaux, A. Marteau et Luce Curé
Le scénario se répète avec Éléonore, leur deuxième fille, qui accouche elle aussi d’un garçon en 1786, puis d’un deuxième en 1788 qui sera en péril de mort et ondoyé par la sage-femme. Naîtra ensuite une fille en août 1789 qui survivra.

5Mi0134 – 1772 1790 Archives de l’Aisne
L’an Mille Sept Cent quatre vingt huit le vingt un du mois de Juin a été inhumé dans le cimetière de cette paroisse le corps d’un garçon décédé en cette paroisse aussitôt le baptême qui lui a été administré en naissant fils de François Batteux vigneron et de Marie Éléonore Judas de cette paroisse Il est décédé ledit jour vers minuit à laquelle inhumation ont assisté ledit Batteux père et Nicolas Tatou clerc laïc de cette paroisse en foi de quoi je Luce curé ai signé Signatures : Bateux, Tatou et Luce Curé
Clairement, le baptême importait plus au curé que la vie ou la mort de l’enfant. Cependant certains curés étaient de nature plus confiante et j’ai vu des cas où ils se sont contentés d’un certificat du chirurgien ayant accouché l’enfant ou de l’assurance de la sage-femme pour être satisfait du bon déroulement de l’ondoiement.

Archives départementales du Loiret
Sépulture d’une fille de Mathieu Guillaumant ondoyée à la maison Le vingt deux février mille sept cent quarante six, j’ai prêtre vicaire soussigné inhumé dans le cimetière de cette paroisse le corps d’une fille de Mathieu Guiaumant scieur de long demeurant au bourg de Clery et de Marie Bertrant. Décédée d’hier âgée d’environ une heure. Laquelle enfant avait été ondoyée par Marie Gallon veuve de Gentien Cailleteau sage femme de cette paroisse ainsi quelle nous l’a certifié et a dit ne savoir signer. Ont assisté en l’absence des parens de l’enfant Vrain Gallon tourneur et Marguerite Boury femme dudit Vrain Gallon qui a signé avec nous. Sa femme a déclaré ne le savoir. Signé Vrain Gallon, JBte Lablée vicaire

Il est intéressant de noter que bien que l’enfant soit considéré comme « baptisé » lors de l’ondoiement, il n’est pas nommé. À chaque fois, on réfère soit à « une fille de… » ou « un garçon de… » ou encore au « corps d’un garçon ou d’une fille » sans jamais les prénommer. Au Mont-St-Sulpice dans l’Yonne, j’ai même trouvé des formules lapidaires comme « sépulture d’un ondoyé » d’ailleurs le même prêtre n’hésitait pas à écrire au registre « sépulture d’un trouvé » pour désigner un enfant qui avait été abandonné. Il faut dire qu’il en voyait tellement performant souvent plus d’enterrements que de baptêmes et de mariages. S’il naissait beaucoup d’enfants, il en mourait beaucoup également. Quatre enfants sur dix ne fêtaient pas leur premier anniversaire et 25% mouraient à la naissance ou dans les jours qui suivaient. Voir « La mort d’un bébé au fil de l’histoire » par Marie France Morel : https://www.cairn.info/revue-spirale-2004-3-page-15.htm

Baptême de Marie Finot baptisée sous condition après avoir été ondoyée à la naissance
Archives départementales de l’Yonne
Baptême de Marie Finot Le vingt sept août de l’année mille sept cent soixante neuf Marie née d’hier du mariage légitime de Jean Baptiste Finot avec Jeanne Jendot a été baptisée sous condition par moi curé soussigné aiant été ondoiée à la maison par Anne Gerand Sage femme, elle a pour parrain Jean Baptiste Pouy qui a signé avec moi et pour marainne Marie Paré qui a déclaré ne savoir signer. Signé Jean Baptiste Pouy, Vallours curé
Cependant, en cas de survie de l’enfant, si un doute subsistait par rapport à la façon dont l’ondoiement avait été administré, le curé procédait à un nouveau baptême qui était appelé « baptême sous condition ». Comme le baptême, contrairement à l’extrême onction, n’était supposé être donné qu’une seule fois, « la condition » était que cette première tentative de baptême, soit considérée comme nulle. C’est exactement ce qui s’est produit à la naissance de Marie Finot, une de mes ancêtres directes au sixième degré.

Certaines sages-femmes, quand l’accouchement était particulièrement difficile ou quand il y avait des antécédents d’enfants morts à la naissance, ne prenaient aucune chance et ondoyaient l’enfant même si celui-ci n’était pas encore né à proprement parler. Cette pratique irritait certains curés qui considéraient alors l’ondoiement comme un procédé abusif. L’ondoiement à la naissance ne devant être utilisé qu’en dernier recours, ils les interrogeaient donc et appréciaient celles qui ne baptisaient pas « sans nécessité ».

Cérémonies du batême supplées à Charles Paul Chicoineau L’an mil sept cent quatre vingt onze le quatre décembre les cérémonies du baptême ont étés supplées à Charles Paul né du jour du légitime mariage de Paul Chicoineau et de Therese Guillauman père et mère, ondoyé à la maison à cause du danger de mort, le parrein Charles Chicoineau qui a signé avec nous et la marreine Anne Chapeau qui n’a su signer. Signatures : Charles Chicoineau, Sertico Vicaire
Enfin, dans le Loiret, plus précisément à Meung-sur-Loire qui est une ville avec une forte concentration de gens d’Église (voir M comme Meung-sur-Loire), il est fréquent, si l’enfant survit, qu’on fasse une cérémonie de baptême, en plus de l’ondoiement, pour que les amis et la famille puisse y assister et qu’on puisse nommer et enregistrer le parrain et la marraine. Dans ces cas-là, l’enfant ayant déjà été baptisé à la naissance on peut soit le faire dans les délais prescrits soit attendre quelques jours.
How interesting to see such old records. And such beautiful handwriting. Women sure had it hard in those days! The word wave loses something in translation. What does it mean? Also the paintings are great illustrations.
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