
La formule de l’abécédaire m’amène, encore une fois, en terrain inconnu mais après tout n’est-ce pas un des objectifs de l’exercice. Ainsi, pour la lettre Y, le choix du couple Gamard-Finot, mes ancêtres directs de sixième génération, qui habitaient dans l’Yonne vers la fin du 18e et au début du 19e siècle, s’est imposé tout naturellement.

Ils demeuraient à Mont-Saint-Sulpice, une commune d’environ 1500 habitants, pas très loin d’Auxerre, dans une région qui avant la Révolution était rattachée à la Bourgogne et qui depuis 1790 fait partie de l’Yonne, un des 83 nouveaux départements français.
Quand mon arrière-arrière-arrière-grand-mère Marie Félicité Gamard naît, fin mai 1799, le département a à peine 9 ans, mais la période révolutionnaire et la Terreur qui l’a accompagnée touchent à leur fin. Quelques mois plus tard, suite au coup d’État du 18 brumaire de l’an XIII (9 novembre 1799), la France est dirigée par un Consulat dont un jeune général nommé Bonaparte est le 1er consul. Dans l’Yonne comme ailleurs la population a accueilli la nouvelle avec joie et on a même crié : « Vive la république ! Vive Bonaparte ! Vive la paix ! »
Le père de Marie Félicité, Edmé Gamard travaille comme couvreur et charpentier dans une commune composée principalement de cultivateurs et de vignerons. Deux ans plus tôt, en janvier 1797, il a épousé Marie Finot une fille du lieu, avec qui il a probablement grandi. Elle a 27 ans et lui en a 25. Bien sûr, ils veulent fonder une famille mais il s’est peut-être aussi marié afin d’éviter d’être enrôlé dans l’armée révolutionnaire. Car en 1796, la république est en guerre contre les autres monarchies qui se sont coalisées pour en finir avec la Révolution française, rétablir la monarchie et éviter ainsi que le mouvement s’étende à leurs sujets.
Edmé Gamard va éviter de peu la « conscription universelle et obligatoire » établie en 1798 pour tous les Français de 20 à 25 ans. C’est cette nouvelle loi qui va bientôt permettre à Napoléon Bonaparte de lever les armées grâce auxquelles, il espère conquérir l’Europe.

Lors d’une revue des registres, encore incomplets, du site Mémoire des hommes, j’ai pu identifier une bonne vingtaine de jeunes hommes de Mont-Saint-Sulpice qui ont grossi les rangs des différentes armées napoléoniennes. Nés pour la plupart entre 1772 et 1792, ils portent des patronymes familiers comme Gamard, Finot, Ducerf, Pouy, etc. et sont probablement des parents de plusieurs de mes ancêtres. Ainsi, j’y ai retrouvé Sulpice Finot, le frère de mon ancêtre Marie, qui fut soldat de 1800 à 1808 et participa à la 2e campagne d’Italie de l’an 9, soit en 1800, contre les troupes impériales du Saint Empire.

À la place de courir les champs de bataille, Edmé s’est occupé de sa famille qui en 6 ans et demi s’agrandit de cinq enfants dont quatre filles nées entre fin 1797 et 1802, dont mon ancêtre Marie Félicité est la deuxième, puis un garçon qui naît début 1804.
Mais revenons à l’Yonne, ce département qui tire son nom et sa composition de la rivière qui le traverse.

« Le 4 mars 1790, le Royaume de France était découpé en 83 départements. Pour créer celui de l’Yonne, il a fallu regrouper des communes issues de provinces très différentes : un cœur bourguignon (Auxerre, Avallon…), un bout de Champagne (Joigny, Tonnerre), un zeste de Nivernais (Saint-Sauveur, Saint-Fargeau…), une part d’Orléanais (Rogny-les-Sept-Ecluses…) et un soupçon d’Île-de-France (Sens). » https://www.lyonne.fr/auxerre-89000/actualites/le-4-mars-1790-le-departement-de-l-yonne-etait-cree-de-toutes-pieces-et-n-avait-pas-encore-sa-forme-actuelle_13509094/
Cette composition arbitraire faisait partie d’un mouvement beaucoup plus large visant à créer une société nouvelle expurgée, si possible, de tous les irritants de l’ancien régime comme l’explique A. F. Bertrand de Moleville, Ministre d’État (1801).
« L’assemblée nationale a consommé l’ouvrage de la nouvelle division du royaume, qui seule pouvoit effacer jusqu’aux dernières traces des anciens préjugés ; substituer à l’amour-propre de province l’amour véritable de la patrie. » Histoire de la Révolution de France pendant les dernières années du règne de Louis XVI, par A. F. Bertrand de Moleville

Bien sûr, cette naissance ne s’est pas faite sans heurts et plusieurs propositions de découpages ont été considérées et étudiées alors que les villes d’Auxerre et de Sens convoitent le rang de chef-lieu de département.
« Pendant quelques semaines existèrent d’ailleurs divers projets de découpage alternatif permettant de dessiner à la fois un « département d’Auxerre » et un « département de Sens ». Finalement, le 15 janvier 1790, après d’âpres négociations et de subtils compromis, le département était définitivement constitué autour d’Auxerre. Sens relégué au rang de district obtint ultérieurement, à titre de dédommagement, le siège de l’évêché. Les 7 districts du nouveau département étaient ceux d’Auxerre, Avallon, Joigny, Saint-Fargeau, Saint-Florentin, Sens et Tonnerre. En leur sein étaient dessinés 69 cantons, comportant au total 490 communes. » http://philidor.cmbv.fr/Publications/Bases-prosopographiques/MUSEFREM-Base-de-donnees-prosopographique-des-musiciens-d-Eglise-en-1790/Yonne
Les limites du département seront modifiées une seule et dernière fois en 1793 pour les fixer dans leurs dimensions actuelles.
Ce n’est pas un hasard si l’Yonne sert de fil conducteur aux différentes composantes du département. Ainsi, cette rivière, alimentée par plusieurs cours d’eau, est une importante voie navigable que sert notamment au transport du bois et du vin vers Paris.

« La rivière constituait depuis longtemps une artère économique pour toute la région, notamment par le flottage du bois destiné à Paris. Construits à Clamecy sur l’Yonne et à Cravant sur la Cure, les trains de bûches coupées dans les forêts du Morvan mettent 18 à 25 jours de Clamecy à Paris. Plus de 6 000 trains de bois seraient passés chaque année sous le pont unique d’Auxerre à la fin du XVIIIe siècle. L’autre grand commerce est bien sûr celui du vin. Comme la vigne domine de larges zones des paysages, l’activité viticole et ses à-côtés nécessaires (tonnellerie) dominent les activités économiques. » http://philidor.cmbv.fr/Publications/Bases-prosopographiques/MUSEFREM-Base-de-donnees-prosopographique-des-musiciens-d-Eglise-en-1790/Yonne
Comme dans les autres régions rurales françaises, le département de l’Yonne va connaitre un important exode rural dès le milieu du 19e siècle. C’est ainsi, qu’à l’âge de 29 ans, mon ancêtre Marie Félicité Gamard se retrouve à Paris, vers 1828, alors qu’elle a son premier enfant. Elle s’y est probablement mariée l’année précédente avec Charles Joseph Constant Guillaumant venu de Meung-sur-Loire dans le Loiret, département voisin de l’Yonne. Malheureusement, leur mariage ne figure pas dans les actes d’état civil reconstitués de Paris mais je n’ai pas non plus pu retracer leur mariage dans l’un ou l’autre de leur village natal. Si Edmé Gamard signait avec difficulté, probablement qu’il en était tout autrement pour sa fille et qu’elle a pu aller à l’école primaire. Plus tard, elle se dira couturière.
« À part quelques points industriels comme Auxerre ou Sens, l’Yonne ne parvient pas à fixer une population active. Les jeunes des zones rurales de l’Yonne étaient peu éduqués. Par contre, les zones où ils étaient plus éduqués les perdaient parce qu’ils partaient pour Paris. C’est le principal problème du département, il n’y a pas assez d’activité pour les retenir. » Frédéric Gand, historien local et professeur au lycée Jacques-Amyot d’Auxerre (Au sujet du rapport Bordier, rédigé sous le Second Empire)
Alors que d’autres de mes ancêtres ont gardé un lien fort avec leur région d’origine, cela ne semble pas avoir été le cas du couple Guillaumant-Gamard alors que je n’ai pas trouvé de traces d’eux ni dans le Loiret ni dans l’Yonne. Non seulement, ils ne sont pas retourné chez eux pour se marier ou pour accoucher, mais je n’ai pas non plus trouvé de liens avec d’autres membres de la famille Gamard ou Finot qui seraient venu s’installer à Paris. Là encore, la destruction en 1871 de la mairie de Paris sont un obstacle majeur, mais la recherche est loin d’être terminée.