
Comme je l’ai déjà mentionné dans D comme Décédé à l’ambulance, mon grand-père Édouard Guillaumant est mort près de Bouchavesnes dans la Somme, mi-septembre 1916. Il est âgé de 35 ans. Sa veuve Christine Frey n’a alors que 33 ans et trois enfants à charge dont l’aînée va bientôt fêter ses 12 ans et deux garçons de 9 ans et presque 18 mois.

Ils vivent à Neuilly-sur-Seine, au 5 boulevard Victor Hugo dans un immeuble qui de nos jours n’existe plus. Même si Neuilly est loin du front, la guerre fait partie de leur quotidien avec, entre autres, des cartes individuelles de rationnement qui sont accompagnées d’un calendrier indiquant leurs rations hebdomadaires. Ainsi tout manque mais heureusement, les prix sont fixés par le gouvernement pour éviter la spéculation.
« En 1917, l’essence destinée à l’usage quotidien (chauffage et électricité) est limitée à un litre par ménage et par quinzaine, sur présentation d’un bon de consommation. Le prix des denrées alimentaires est réglementé dès 1916 pour éviter la spéculation. Commerçants et clients sont informés des tarifs par affichage. Les agents de police veillent à leur bonne application. Une commission de distribution du lait est prévue dès août 1914 pour le cas où le lait viendrait à manquer. Celui-ci serait alors distribué en priorité aux malades, aux enfants en bas âge et aux personnes âgées. Le sucre est rationné avant 1917 tandis que le pain et la farine sont limités à partir de 1918. » https://www.neuillysurseine.fr/le-ravitaillement-et-rationnement
De plus, ils croisent probablement de nombreux blessés rapatriés du front alors qu’à 300 mètres de chez eux se trouve l’hôpital militaire 113, au 27 boulevard Victor Hugo. Pas loin de là, les locaux du lycée Pasteur ont été transformés en hôpital auxiliaire où on soigne les soldats aux frais de l’Hôpital Américain.

« Les lieux de soins se multiplient dès le début de la guerre. En août 1914, le ministre de l’Instruction publique et des Beaux Arts donne son accord pour l’affectation du lycée Pasteur de Neuilly à un hôpital auxiliaire organisé par les soins et aux frais de l’Hôpital Américain. La Maison de Santé Protestante pour homme ouvre ses portes aux militaires sans distinction de culte. Un citoyen propose son hôtel particulier familial pour l’accueil des malades et des convalescents. » https://www.neuillysurseine.fr/hopitaux-et-ambulances-militaires
Plus encore, ils connaissent les sirènes qui annoncent les bombardements et doivent sans doute se mettre à l’abri dans les caves et autres refuges. Mon père qui n’était alors qu’un bébé n’avait probablement qu’une idée très diffuse du danger, mais il en était tout autrement pour les autres membres de la famille.
« Dès 1915, la Ville prend des dispositions pour protéger les populations (ce qu’on appellera plus tard la défense passive). Les 20 et 21 mars 1915, Neuilly-sur-Seine connait sa première alerte (48 sur toute la durée de la guerre). Des zeppelins allemands lâchent des bombes sur la ville. » https://www.neuillysurseine.fr/files/neuilly/decouvrir/archives/articles-historiques/2018_11_14_18_dommages.pdf
Christine travaille peut-être encore comme tapissière à la compagnie cinématographique Éclipse mais les studios de Boulogne-Billancourt vont bientôt être réquisitionnés pour l’effort de guerre. Enfin, ils peuvent compter sur la solde d’Édouard qui lui est versée. Mais tout ça va changer avec sa mort. Deux mois plus tard, fin novembre 1916, on lui accorde une indemnité de secours immédiat de 150 francs.

Près d’un an et demi plus tard, soit le 17 avril 1918, Christine reçoit par décret une allocation de veuve de guerre de 563 francs par an, rétroactive au 18 septembre 1916. Cette pension est la même pour toutes les veuves de soldats de deuxième classe tandis que les veuves de sous-officiers et d’officiers reçoivent une pension supérieure en fonction du grade de leur mari décédé.

Cependant, il y a fort à parier que durant ces 19 longs mois entre la mort de son mari et l’allocation de sa pension de veuve, Christine a dû non seulement recourir à l’aide de sa famille, qui était probablement bien modeste, mais aussi à une ou plusieurs oeuvres de charité qui venaient en aide aux veuves et aux orphelins. Leur sort est loin d’être unique alors que la France, qui a perdu près de deux millions de soldats, compte quelque 700 000 veuves de guerre et plus de 900 000 orphelins.
D’ailleurs, les oeuvres de guerre étaient de plus en plus nombreuses. On en a recensé plus de 300, à travers toute la France. Bien que certaines aient une mission restreinte aux familles d’une région ou d’un département spécifique, les plus importantes s’étaient donné un mandat national comme l’oeuvre des Bons Enfants (située sur la rue des Bons Enfants) qui avait des allégeances catholiques et fonctionnait à travers la Société de St-Vincent-de-Paul et les paroisses. D’autres, étaient des associations militaires comme l’Association d’aide aux veuves de militaires de la Grande Guerre ou appartenaient au monde de l’éducation laïque. Ensemble ces organisations ont secouru des milliers de familles.
« Les demandes de subvention, admises après enquête, ne sont renouvelées qu’après justification de l’emploi des subventions précédentes et, en vue d’éviter les doubles emplois (autrement dit que deux associations touchent des subventions pour une même victime), les familles secourues doivent remplir une fiche nominative qui précise l’œuvre par laquelle la subvention a été demandée. Parmi les 313 œuvres affiliées au comité, quatorze se distinguent par la somme des subventions dont elles ont bénéficié entre 1915 et 1924, somme toujours supérieure à 700 000 francs et pouvant s’élever jusqu’à 2 800 000 francs – alors que pour les autres œuvres, elle n’excède jamais 560 000 francs. » https://www.cairn.info/revue-d-histoire-de-la-protection-sociale-2016-1-page-68.htm
Enfin, par jugement du tribunal civil de la Seine, ses trois enfants : Gilberte, Roger et André Guillaumant vont devenir pupilles de la nation le 10 mai 1918.

Créé par la loi du 27 juillet 1917, en réponse à l’hécatombe des champs de bataille, le gouvernement, par l’entremise de l’Office national des pupilles de la Nation, ne voulait pas se substituer aux familles mais bien les épauler en reconnaissance du sacrifice accordé. Ainsi, l’introduction de l’affiche annonçant la nouvelle loi se lit comme suit :
FRANÇAISES, FRANÇAIS, La loi du 27 juillet 1917, sur les Pupilles de la Nation, votée à l’unanimité par la Chambre des Députés et par le Sénat, est une loi de liberté, de fraternité et de respect mutuel, de concorde et de solidarité sociale. Elle sera appliquée dans cet esprit.
« Quand le jugement est prononcé en faveur du pupille, l’Office départemental des anciens combattants et victimes de guerre ouvre un dossier au nom de la famille, dans lequel on retrouve toutes les pièces relatives à cette famille, ainsi que les dossiers individuels des enfants concernés. Les pupilles de la Nation peuvent alors prétendre à différentes subventions : entretien (habillement, nourriture, loisirs…), frais de maladie (en complément de l’aide médicale gratuite pour les frais d’optique ou d’orthodontie par exemple), vacances, études. Ces subventions sont attribuées en complément des aides du droit commun (allocations familiales, bourses d’études par exemple). » http://87dit.canalblog.com/archives/2014/03/09/29394868.html

L’Office national des pupilles de la Nation organise même des manifestations nationales comme le montre cette affiche pour le 2 novembre 1919 sur laquelle on peut lire ce qui suit :
« La France adopte les orphelins dont le père, la mère ou le soutien de famille a péri au cours de la guerre de 1914 victime militaire ou civile de l’ennemi… La Nation affirme son devoir de sollicitude et de protection envers les Pupilles : elle leur accorde en cas de besoin des subventions d’entretien, d’apprentissage et d’éducation. »

D’un point de vue plus pratique, chaque enfant pupille de la nation recevait une carte qu’il lui fallait présenter pour avoir accès gratuitement ou à moindre coût à certains services et activités. J’imagine que mon père ainsi que sa soeur et son frère ont pu en bénéficier.
Cependant, et bien qu’étant un très bon élève qui aurait pu continuer a étudier gratuitement, cela ne l’a pas l’empêché d’abandonner ses études vers 1931 soit à 15 ou 16 ans pour aller travailler chez le ferronnier d’art Paul Kiss. Il est alors le seul et dernier soutien pour sa mère et sa grand-mère qui doivent prendre en charge une loge de concierge. La France, dont l’économie tourne au ralenti, est alors rattrapée par le krach économique de 1929. Néanmoins, ce choix d’abandonner ses études et de s’initier au travail des métaux, aura des répercussions sur toute la vie de mon père, tant au niveau de son affectation militaire que de sa carrière professionnelle.
I like the quotes being highlighted in a different colour. Very clear format. You may have done this before but it stood out for me this time. Also the postcards etc were a nice addition. Love the vintage artwork. 900,000 children left fatherless after the war. Astounding. Wars affect so many people.
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