
« Tout enfant né hors mariage est un enfant illégitime »
Tant que les curés s’occupaient de tenir les registres d’état civil, la pratique voulait que les enfants soient baptisés dans les heures suivant la naissance. La cérémonie consignée au registre faisait mention du père, de la sage-femme ou encore du chirurgien comme étant le déclarant ainsi que du parrain et de la marraine. La mère encore alitée, n’y assistait pas.
En de rares circonstances, le père était déclaré comme « non nommé » ou « non dénommé ». Cependant, tel que je l’ai déjà mentionné, les femmes non mariées et les veuves étaient tenues de déclarer toute grossesse aux autorités. Elles ne le faisaient pas toujours dans leur village et pouvaient choisir de le faire auprès de différentes instances.
Dans quelques registres, j’ai été frappée par le fait que certains curés marquaient « illégitime » à coté du nom de l’enfant alors que d’autres refusaient à l’enfant le nom de sa mère même si celle-ci était connue. Ils n’inscrivaient au registre qu’un ou deux prénoms. J’ignore si l’enfant prenait éventuellement le nom de famille de sa mère ou si son deuxième prénom lui servait alors de nom de famille.
Après la Révolution et à la suite de plusieurs changements administratifs, l’état civil a été pris en charge par les élus municipaux et régionaux. Les enfants conçus hors mariage sont encore le plus souvent de père non dénommé. Les choses allaient encore changer avec l’instauration du code Napoléon en 1804. Alfred Nizard cité plus haut résume la situation ainsi :
« La loi du 3 janvier 1972 a mis fin à l’ancien droit de la filiation en France, en vigueur depuis le Code civil napoléonien de 1804. Au xixe siècle, l’enfant naturel était hors-la-loi et évincé de la société légale. A partir de 1896, sa situation légale s’est progressivement améliorée. La nouvelle loi est fondée sur deux principes : égalité des filiations légitime et naturelle; conformité de la filiation légale à la vérité biologique ou sociale. » Extrait du résumé de Droit et statistiques de filiation en France. Le droit de la filiation depuis 1804.
En parcourant les actes d’état civil, on reconnaît aisément les enfants nés hors mariage mais reconnus par leur père; le nom de la mère n’est pas précédé de la formule consacrée et la désignant comme « sa légitime épouse ». Quoique, comme on se fie à la parole du déclarant, j’ai trouvé plusieurs exemples dans ma famille où on a fait croire à un enfant « légitime » surtout après l’instauration du code Napoléon.
Assez souvent, les parents ont remédié au caractère « illégitime » de ces enfants, à l’occasion de leur mariage. C’est entre autres le cas de Raymond Guillaumant né à Paris début octobre 1906, fils de Camille Guillaumant et de père non dénommé, il va devenir quatre ans et demi plus tard Raymond Balaka suite au mariage de ses parents.

Guillaumant Raymond BALAKA L’an mil neuf cent six le trois octobre à midi acte de naissance de Raymond, du sexe masculin né hier soit à neuf heure rue Focillon 1, fils de Camille Ernestine Guillaumant, vingt et un ans, couturière, rue du Cherche Midi, 110 et de père non dénommé. Dressé par nous Désiré Euvrard, officier d’académie adjoint au maire, officier de l’état civil du quatorzième arrondissement de Paris sur la présentation de l’enfant et la déclaration faite par Angèle François dix neuf ans, domestique présente à l’accouchement, en présence de Marguerite Balza vingt et un ans, domestique toutes deux rue Focillon 1 et de Hélène Carradec vingt-quatre ans, domestique, rue Alesia, 36 qui ont signé avec nous après lecture.
En marge de cet acte se trouvent deux mentions liées à sa naissance et à son statut, qui se lisent comme suit :
« Par acte dressé en la mairie du vingtième arrondissement de Paris le seize octobre mil neuf cent six, Camille Ernestine Louise Guillaumant a reconnu l’enfant inscrit à contre. » Signé Le Maire
« Par leur mariage célébré en la quinzième mairie de Paris le huit avril mil neuf cent onze Célestin Alexis Balaka comptable, Impasse Bertrand 16 et Camille Ernestine Louise Guillaumant, tapissière, rue d’Alleray 52, ont légitimé l’enfant inscrit ci-contre. » Signé Le Maire
J’ai retrouvé à l’état civil du 20e arrondissement de Paris la déclaration de reconnaissance faite par Camille deux semaines après la naissance de son fils.

3546 Guillaumant Rce L’an mil-neuf-cent-six, le seize octobre à une heure un quart du soir, Acte de Reconnaissance de Raymond, du sexe masculin, né le deux courant et inscrit le trois en la quatorzième mairie de Paris, comme fils de : Camille Ernestine Guillaumant et de père non dénommé. Dressé par nous Paul Burg adjoint au maire, officier de l’état civil du vingtième arrondissement de Paris, chevalier de la Légion d’honneur, sur la déclaration de Camille Ernestine Louise Guillaumant âgée de vingt-un ans, couturière, domiciliée rue Stendhal 8 qui reconnait pour son fils le dit Raymond en présence de Olympe Alfroy, âgée de vingt-sept ans, ménagère, rue Stendal 3 et de Marie Paris, âgée de trente neuf ans ménagère rue du Cherche Midi 24 qui ont signé avec nous après lecture.

Je remarque que Camille n’a pas accouché chez ses parents qui habitaient rue du Cherche-Midi. D’ailleurs, d’après ce qui m’a été rapporté dans la famille, son père Hippolyte Guillaumant (qui est aussi mon arrière-grand-père) était bien fâché par la situation.
D’après mes recherches sur d’autres blogues de généalogie, une sage-femme pratiquait au 1 rue Faucillon, Madame Hermance Escudé qui semble avoir eu dans sa clientèle plusieurs femmes non mariées. Alors que l’édifice existe toujours, le recensement de 1926 (le plus ancien qui existe) ne répertorie personne à cette adresse comme s’il s’agissait d’une clinique ou d’un édifice à vocation commerciale.
De plus, Camille a peut-être été chassée de chez ses parents car deux semaines après avoir accouché elle dit habiter au 8 rue Stendal. Habite-t-elle chez des amis ? Des parents éloignés ? Cinq ans plus tard, au moment de son mariage, en avril 1911, elle déclare habiter chez ses parents au 58 rue d’Alleray et être tapissière. Ceux-ci sont d’ailleurs dits « présents et consentants ». Ils semblent avoir fini par se réconcilier !


Balaka et Guillaumant « L’an mille neuf cent onze le huit avril, à dix heures quarante minutes du matin. Acte de mariage de Célestin Alexis Balaka, né à Paris (18ieme) le vingt cinq Décembre mil huit cent quatre vingt deux, comptable, domicilié 16 Impasse Berthand, fils majeur de Jean Baptiste, Memmie Balaka, gérant et de Aline Guillemot, sans profession, époux décédés à Paris (19ieme) d’une part. Et de Camille Ernestine Louise Guillaumant, née à Paris (6e) le vingt cinq aout mil huit cent quatre vingt, cinq tapissière domiciliée 52 rue d’Alleray avec ses père et mère, fille majeure de Hippolyte Felix Frederic Guillaumant et de Marie Augustine Boulet, tapissiers, époux présents et consentants d’autre part. » … « après avoir interpelé les futurs époux qui déclarent avec les père et mère de la future n’avoir pas fait de contrat de mariage, les futurs époux déclarent reconnaitre pour leur fils en vue de la légitimation devant résulter de leur mariage, Raymond né le deux octobre mil neuf cent six, à Paris (14e) nous leur avons demandé s’ils veulent se prendre pour mari et pour femme, et chacun ayant répondu affirmativement et séparément à haute voix, nous avons prononcé au nom de la loi que Celestin Alexis Balaka et Camille Ernestine Louise Guillaumant sont unis par le mariage… »
Quant à Camille et Célestin, ils ont eu un autre fils. La reconnaissance lors du mariage était importante car en légitimant leur enfant, ils lui donnaient les mêmes droits que son frère à naître. De par la loi, les enfants dits « naturels » avaient des droits mais moindres que ceux dits « légitimes ».
« Le code civil différencie l’enfant légitime né dans le mariage et l’enfant naturel (ou illégitime) né hors mariage. »… « Selon le code civil pour créer un lien juridique de filiation entre un enfant et ses parents, il ne suffit pas que les parents soient désignés sur l’acte de naissance de l’enfant même si les parents assument la charge de l’enfant. Deux actes d’état civil créent un lien juridique de filiation, ce sont le mariage et la reconnaissance d’enfant naturel. »… « Le mariage est, notamment, reconnaissance anticipée indivisible de la part des conjoints des enfants à naitre (et c’est pourquoi l’acte de naissance de l’enfant d’une femme mariée est un titre de filiation légitime). La reconnaissance d’un enfant naturel est, par contre, postérieure à la naissance de l’enfant ou, du moins à sa conception et est divisible : elle est établie, vis-à-vis de chacun des parents séparément… » Droit et statistiques de filiation en France. Le droit de la filiation depuis 1804, Alfred Nizard, Persée, 1977, p. 92-93
Si la reconnaissance d’un enfant par sa mère a longtemps été considérée comme allant de soi, les choses ont changé au 19e. Avec ce changement légal, les mères ont commencé à devoir se rendre personnellement à la mairie pour faire reconnaître leurs droits sur leurs enfants. Au 19e siècle, alors que la grande majorité des naissances étaient légitimes, le nombre de naissances hors mariage étaient aussi nettement plus important que durant les siècles précédents où la religion était omniprésente.
Merci, très intéressant! je m’interroge sur la dernière phrase : « Au 19e siècle, alors que la grande majorité des naissances étaient légitimes, le nombre de naissances hors mariage étaient aussi nettement plus important que durant les siècles précédents où la religion était omniprésente. » Si on comptait moins de naissances illégitimes avant le 19e siècle, est-ce que ça ne pourrait pas être parce que plus d’enfants étaient abandonnés et donc non répertoriés? Simple spéculation de ma part.
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Je pense qu’il y a un ensemble de circonstances en jeu. D’une part, avant le 19e siècle, les gens vivaient beaucoup plus en milieu rural où tout le monde se connaissait et il y avait beaucoup de pression pour que les futurs parents se marient. J’ai parlé à quelques reprises de couples qui se sont mariés quelques semaines ou jours avant l’accouchement. Aussi, il devait y avoir des avortements et des infanticides qu’on a essayé d’enrayer grâce aux rapports de grossesses.
Quant aux abandons, ils étaient probablement toujours importants. Mais encore plus fréquents à Paris et dans les autres grandes villes. Je me souviens avoir lu un rapport de l’Assistance Publique qui mentionnait que des mères originaires des départements avoisinants, allaient à Paris pour chercher du travail et finissaient par abandonner leurs enfants. Les départements se plaignaient que Paris acceptent de prendre en charge des enfants, qu’eux auraient refusé en encourageant les mères à les garder. Paris, considérait ces plaintes comme la démonstration de l’ignorance et de l’incompréhension des régions vis-à-vis des conditions de vie et de travail à Paris.
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Excellent detective work!! Good work tracking down all those documents! Glad that it seems that she reconciled with her parents. Women sure had a hard time of it back then!
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