
Quand mes ancêtres se sont installés dans le quartier du Faubourg Saint-Antoine, ils étaient d’abord motivés par des considérations économiques et pratiques. Arrivant des pays de la Loire, où il lui était de plus en plus difficile de trouver du travail, à cause des changements économiques et du progrès, mon ancêtre Constant Guillaumant a probablement d’abord trouvé du travail au quai de la Râpée comme scieur de long. Puis il s’est installé tout près, dans le quartier qui était à la fois un quartier ouvrier abordable et reconnu pour ses artisans et où il avait peut-être des connaissances ou de la famille.
Bien que j’ignore comment elle s’est retrouvée dans le quartier, la motivation était probablement semblable pour son épouse, Marie Félicité Gamard. La jeune femme, originaire de Mont-Saint-Sulpice, un village de l’Yonne, était venue rejoindre sa soeur ainée qui s’était installée à Paris au printemps de 1825. Plus tard, différents documents la diront couturière.

Le quartier du Faubourg St Antoine est à cheval sur deux arrondissements le 11e et le 12e. D’ailleurs, la rue du même nom en marque la séparation avec le 12e du côté pair et le 11e du côté impair.

Fondé à la fin du 12e siècle autour de l’Abbaye de femmes Saint-Antoine des Champs, alors située à l’extérieur des murs qui marquaient les limites de la ville de Paris, le quartier développe une vocation artisanale aux 16e et 17e siècles pour atteindre son plein essor au 18e siècle. Cette notoriété va attirer des ouvriers et artisans des provinces de France et de toute l’Europe. En 1848, le Faubourg Saint-Antoine a vu sa population active doubler et compte alors plus de 50 000 ouvriers. Mais, ce qui a fait sa prospérité va aussi marquer son déclin avec la mécanisation et l’industrialisation de la production des meubles.

« L’histoire de ce « faubourg » participe à la fois de l’économie et de l’urbanisme parisiens. Sur moins de trois kilomètres, de la Bastille à la Nation, trois artères, la rue éponyme au centre, la rue de la Roquette au nord, la rue de Charenton au sud, irriguent un espace d’environ 80 ha [hectares] truffé de ruelles et d’impasses, mordant sur les XIe et XIIe arrondissements, hors ville jusqu’en 1670, en ville, à l’ombre de la Bastille, après la destruction du rempart royal. » Extrait de l’article Le Faubourg Saint-Antoine, architecture et métiers d’art, s.d. Minnaert (Jean-Baptiste) – compte-rendu de Louis Valensi

Jusqu’à la période de la Commune en 1870, les Guillaumant sont restés dans le quartier pour de bonnes raisons. Si pour les hommes, l’accès à un travail et un logement étaient primordiaux, d’un point de vue féminin, plusieurs autres éléments étaient pris en considération.

Les femmes pensaient en fonction de leur famille et à leurs enfants avant tout. Il faut bien le reconnaitre, le faubourg Saint-Antoine avait beaucoup à offrir car tout y est proche et accessible à commencer par le marché Lenoir sur la Place d’Aligre. J’ai remarqué que bien qu’ayant souvent déménagé, la famille était toujours restée proche du marché où il était facile de s’approvisionner. Sinon, il y avait aussi les marchandes ambulantes qui venaient, avec leur charrette à bras, vendre leurs produits sur la rue.

La famille Guillaumant était tissée serrée et à la mort de Constant, elle s’en est sans doute sortie grâce à l’entraide. Tandis que Marie Félicité gardait ses petits-enfants, une de ses filles allait probablement reconduire les plus vieux à l’école avant d’aller faire ses courses au marché ou chez la marchande du coin.

L’accès à l’eau, que la famille allait chercher à quelques mètres de chez eux à la fontaine Trogneux, faisait aussi partie des services essentiels. Erigée au numéro 61 de la rue du Faubourg St Antoine à l’angle de la rue de Charonne soit les deux rues sur lesquelles les Guillaumant vivaient et tenaient magasin. Nommée en l’honneur d’un riche brasseur du faubourg qui contribua généreusement à son financement, elle faisait partie d’un réseau de cinq fontaines construites au siècle précèdent et qui alimentait le quartier de l’eau de la Seine préalablement filtrée. L’eau était gratuite pour les habitants du quartier ou les passants ainsi que pour les petits porteurs d’eau qui gagnaient péniblement leur vie en montant l’eau au seau chez les habitants pour quelques sous.
Un autre élément important était l’accès à un hôpital, ainsi au cours de leurs déménagements, certains se sont rapprochés de l’hôpital Saint-Antoine. À l’époque, c’était le début des politiques de santé publique. On cherchait à contrer la mortalité infantile et l’hôpital offrait aux mères beaucoup de conseils et de support comme du lait stérilisé.

Au 19e siècle, les maternités des hôpitaux étaient réservées aux pauvres, aux filles-mères et aux femmes sans domicile. Aussi, mes ancêtres, ainsi que leurs filles et brus, ont-elles préféré accoucher à la maison avec l’aide d’une sage-femme que d’aller à l’hôpital. Cependant, plusieurs de leurs enfants y ont été hospitalisés et certains y sont morts. Bien sûr, les services étaient payant mais il était possible d’obtenir de l’aide privée à certaines conditions.


La pratique du culte catholique était aussi très importante pour ces citadins de première génération. C’est à l’église Sainte-Marguerite, située un peu en dehors de leur circuit régulier, qu’ils assistaient à la messe dominicale et aux services des fêtes religieuses, et où ils célébraient baptêmes, mariages et enterrements.
C’est en 1881 et 1882 que le ministre Jules Ferry a fait voter deux lois qui d’une part ont rendu l’école publique gratuite et l’école primaire obligatoire tout en laïcisant l’instruction publique. Cependant, bien avant ça, le quartier a pu bénéficier des services des écoles de charité du faubourg St-Antoine des écoles catholiques et gratuites gérées par des ecclésiastiques de l’ordre des Augustins. Ces écoles qui servaient d’écoles normales et formaient de nouveaux enseignants avaient une excellente réputation. Malheureusement, vers 1840, des problèmes de financement ont entrainé le déclin de ces écoles qui se sont orientées vers des pensionnats pour enfants de milieux plus favorisés. Voici comment l’historien et linguiste Augustin Gazier en parle dans son article Les écoles de charité du faubourg St-Antoine. École normale et groupes scolaires (1713-1887) paru en 1906 dans la Revue internationale de l’enseignement :


« Cette situation prospère demeura sans changements notables de 1820 à 1840 ; les maitres, les novices, les postulants et les aspirants qui constituaient la communauté vivaient en bonne intelligence ; les pouvoirs publics témoignaient à la Société Saint-Antoine beaucoup d’estime, et le clergé ne lui était pas hostile. La Société de son coté ne sortait pas de ses attributions ; elle donnait gratuitement l’instruction primaire aux enfants du peuple et elle était digne de la confiance qui lui était accordée. Le zèle des frères était si grand que, non contents de donner aux tout petits sept ou huit heures de leur temps, ils revenaient chaque soir enseigner à une centaine d’adultes les éléments de la lecture, de l’écriture, de l’orthographe et du calcul. » … « Les programmes d’étude et les méthodes étaient d’ailleurs en harmonie parfaite avec les exigences de la société moderne. Si l’instruction religieuse occupait la place d’honneur dans ces écoles éminemment chrétiennes, du moins elle ne portait pas préjudice aux autres branches de l’enseignement. Les enfants apprenaient le catéchisme et il le savaient bien mais cela ne les empêchait pas de savoir bien lire, écrire compter, et de mettre passablement l’orthographe. »
Même si je n’en ai pas la certitude, je pense que mes ancêtres y ont envoyé certains de leurs fils. En tout cas, il est clair qu’ils étaient tous instruits et ces écoles offraient bien des avantages. Quant aux filles, qui étaient instruites également, elles ont probablement fréquenté des écoles gérées par des soeurs.

Un autre avantage du quartier était la proximité de la campagne. Une proximité physique alors que dans Belleville, la bourgade adjacente, on cultivait encore la vigne et les arbres fruitiers. Mais aussi, plusieurs années plus tard, une proximité en termes de transport avec, en 1859, l’ouverture place de la Bastille d’une gare permettant de rejoindre Vincennes et son grand parc ainsi que d’autres communes plus à l’est.
De toute évidence, le faubourg Saint-Antoine, bien qu’ouvrier et populeux, offrait une vie de quartier relativement confortable. Ce qui explique sans doute que mes ancêtres y soient restés pendant près de cinquante ans.
Great photographs! Lovely description of what life might have been like for your family in Paris!
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