B comme Banquistes

Fernand Pélez, peintre de la « misère » urbaine | Histoire et analyse  d'images et oeuvres
Les Saltimbanques, huile sur toile, 1888, Fernand Pelez, Musée du Petit Palais, Paris.

« Carrousels, chevaux de bois et orgues de barbarie peuplent l’imaginaire de la fête foraine. Cet espace d’évasion apparait au XIXe siècle, lorsque la foire devient un lieu festif et un refuge face à l’urbanisation et à l’industrialisation grandissantes. Elle trouve son apogée à la Belle Epoque et représente un phénomène social nouveau : une fête laïque, véhiculant une image du bonheur née de l’idée de Progrès, remplaçant les grandes célébrations religieuses. D’abord destinée aux adultes, elle est un lieu de découverte dédié au divertissement. On trouve au milieu des baraques et des attractions aussi bien des présentations scientifiques que des jeux variés ou des confiseries, entre nostalgie de l’artisanat dissimulé derrière les machineries et célébration de la magie du progrès. » Théâtre de Colombes -fiche ressource arts forains et loisirs

Ainsi le rôle des foires a évolué à travers le temps. De lieux de commerce, où se brassaient des affaires et où on s’approvisionnait en nouveautés sans oublier toutefois d’y mêler une part de plaisir à l’intention des familles, elles sont devenues synonymes de divertissement et de réjouissances venant, de temps en temps, briser la monotonie de la vie quotidienne.

Une fête de village en Normandie par Jouhaux
© Photo RMN-Grand Palais – J.-G. Berizzi

La foire, du Moyen Âge au milieu du XVIIIe siècle, est un marché important où les échanges dépassent le cadre local. Elle participe pleinement au développement économique du commerce intérieur et international des pays en assurant la circulation de l’argent et des marchandises. Banquiers, changeurs, émissaires de firmes sont réunis pour l’occasion. En favorisant un certain brassage des différentes catégories de la population, en diffusant des idées, des marchandises et des inventions nouvelles, elle assure également un rôle social et culturel. Les commerçants ambulants approvisionnent en produits courants, flanqués de charlatans et d’arracheurs de dents qui s’imposent face à la Faculté de médecine. Suivent également comédiens et artistes ambulants – saltimbanques, bateleurs, acrobates, musiciens, belluaires et montreur de « phénomènes ». Cette réunion devient ainsi un avantage pour le pays, une occasion de plaisir et d’abondance et une ressource pour le commerce et l’industrie… Valérie RANSON-ENGUIALE, « Une fête de village en Normandie », Histoire par l’image [en ligne], consulté le 10 décembre 2021. URL : http://histoire-image.org/de/etudes/fete-village-normandie

Je me souviens que petite, j’adorais aller à la fête foraine, au cirque ou voir le guignol au théâtre de marionnettes sans savoir que mes ancêtres avaient travaillé dans cet environnement. Maintenant, je me pose des questions sur les circuits et le mode de fonctionnement de ce milieu.

J’ai donc fait pas mal de recherche et j’ai trouvé sur Gallica le livre d’Hugues Le Roux, Les jeux du cirque et la vie foraine qui contient bien des informations au sujet des foires, de leurs attractions et de leur fonctionnement.

Ainsi on y apprend qu’il y avait ce que l’on appelle la grande banque avec ses importantes familles du cirque avec leurs grands chapiteaux et nombreux employés, et la petite banque avec ses amuseurs (de banco pour banc ou estrade : ici banc, tréteaux ou estrade de spectacle). Ceux qui la pratiquent sont les banquistes mais on les connait plutôt sous les noms de forains, voyageurs et saltimbanques quand ce n’est pas de bohémiens.

Mes ancêtres faisaient probablement partie de la petite banque, c’était des entreprises où chaque membre de la famille avait son rôle à jouer. Joseph Miodet, dont je vous ai déjà parlé, a été qualifié tour à tour de musicien ambulant, saltimbanque, montreur de nains, directeur de théâtre forain et directeur de ménagerie.

Extrait de Les jeux du cirque et la vie foraine, par Hugues Le Roux p. 43

Ils travaillaient donc dans ce que les gens du métier appellent les entresorts. « Dans l’argot de la petite banque nous appelons « entresort » la baraque où le spectacle est permanent, sans commencement ni fin, l’établissement où le public ne fait qu’entrer et sortir. Entresorts, les musées de cire; entresorts, les exhibitions de nains, de monstres, de puces savantes, de femmes tatouées. »

 -  Le geant Armand 2,28 metres,chausse du 65.Le nain Robert H 0,78,poids 15 kilos.
Le géant Armand H: 2m28 et le nain Robert H: 0,78 https://www.geneanet.org/cartes-postales/view/161696#0
Photo publiée sous la licence https://www.creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/fr/

Hugues Le Roux nous apprend que les spectacles de nains sont parmi les plus populaires « Il ne faut pas s’étonner que beaucoup de gens soient plus épris de l’anormal que du beau. Étant donné cette curiosité, le nain est plus surprenant que le géant ; l’homme est en effet une machine si compliquée, qu’on éprouve à regarder des créatures microscopiques qui gesticulent, qui parlent comme nous quelque chose de l’étonnement… C’est pourquoi l’entresort du nain est traditionnellement une des loges plus fréquentées de la foire. » Les jeux du cirque et la vie foraine, p. 44

Les histoires comme le Petit poucet faisaient partie des contes populaires et les Lilliputiens, du livre Les voyages de Gulliver paru au 18e siècle, ont été remis à la mode en 1902 grâce à l’adaptation du livre au cinéma muet par Georges Méliès.

En fin de carrière, soit au début du 20e siècle, Joseph Miodet se disait directeur de ménagerie, de plus j’ai trouvé dans les journaux des références à un Jean Miodet, âgé de vingt-huit ans, dompteur qui pourrait bien être son fils cadet. Je doute qu’il s’agisse d’une ménagerie de fauves et je pencherais plutôt pour des tours de chiens et possiblement d’animaux ne nécessitant pas une grande cage comme des lapins ou un singe. À ce sujet, je trouve intrigant cet article du journal Le Midi qui, fin septembre 1883, fait l’inventaire des spectacles forains qui seront bientôt présentés à Nîmes. Le dernier de la liste est un certain Miodet, directeur de la famille laponne. On ne parle probablement pas de personnes venant de Laponie (région de Finlande) ou même de rennes, mais plutôt de lapins. J’ignore, bien sûr, si le Miodet en question est bien mon arrière-arrière-grand-père. En 1883, celui-ci avait quarante-deux ans et se présentait comme saltimbanque ou directeur de théâtre forain.

Journal Le Midi (Nîmes)
édition du 22 septembre 1883

La foire du 29 courant s’annonce comme devant être très belle. Un grand nombre d’emplacements sont retenus. Voici la liste des spectacles forains qui s’installeront sur le boulevard de la République. Bracco, directeur d’un musée en cire ; Mustapha, directeur de la troupe arabe ; Gachet, directeur d’un salon merveilleux (la demi-femme vivante) ; Defrance, directeur du théâtre de la femme-chien ; Lardet, directeur du musée des cinq parties du monde ; Pezos, directeur de la Grande Ménagerie Européenne ; Jérôme Gas, directeur d’un tir national ; Michelet, directeur d’un cirque diomètre ; Vve Godin, directeur d’un tir salon ; Viviant, directeur de l’Aquarium des cinq parties du monde ; Richard, directeur du carroussel-diomètre ; Sténégry, directeur d’un salon scientifique ; Roger, directeur des poses indiennes ; René-Lemair, directeur des salons Rachel ; Dusister, directeur d’une petite ménagerie ; Letellier, directeur d’un salon électrique ; Gral, directeur d’un tir marseillais; Pailloux, directeur d’un manège de chevaux de bois (diomètre) ; Faysse, directeur d’un manège de chevaux de bois (diomètre) ; Miodet, directeur de la famille laponne.

Mais revenons au livre d’Hugues Le Roux qui nous informe sur le mode de fonctionnement des foires. Ainsi, dépendant de leur rôle et de leur spécialité, les banquistes sont en relation avec des directeurs, des collègues et même des agents et des impresari. Après avoir parlé de la tradition anglo-saxonne, il présente « un saltimbanque plus casanier, le banquiste français, qui, lui, ne prend volontiers ni le railway ni le paquebot, et qui depuis des siècles, depuis des générations, se contente de faire au pas de caravanes « d’assemblées » son tour de France. »

Il explique aussi comment il y a de riches banquistes qui obtiennent des autorités municipales les meilleurs emplacements [probablement contre rémunération, ndlr] en constante compétition avec ceux qu’il appelle les « petites gens dont toute la fortune roule dans une seule voiture… »

Il semble que ce soit eux, les petits, qui aient été les premiers à s’organiser. Ils publient, entre autres, Le Voyageur Forain, organe de la chambre syndicale des Voyageurs forains « journal bimensuel paraissant le 1er et le 15 de chaque mois. » On y publie des articles de l’éditeur et des membres dont certains peuvent être assez virulents ainsi que des petites annonces en tous genres. Cette chambre syndicale a une membriété assez large car elle « admet en son sein tous ceux qui, pauvres ou riches, gagnent honorablement leur vie en instruisant, en amusant le public ou en débitant des produits. »

Quelques années plus tard, un autre regroupement initié par les riches banquistes verra le jour. À partir de 1887, Il publiera son propre journal l’Union Mutuelle dans lequel on s’insurge du mépris des Français envers les forains : « En France, on a prit l’habitude de considérer le forain comme un être à part tout au plus digne de pitié. Cependant, si nous consultons nos souvenirs, nous verrons que toujours, et partout, on a pu apprécier les hautes qualités morales de cette population, qui a, il est vrai, une existence particulière, mais tout à fait honnête et parfaitement honorable… »

Dans un camp comme dans l’autre, les questions d’honnêteté et d’honorabilité semblent primordiales. D’ailleurs, l’adoption du titre de « directeur » et le rejet d’appellations péjoratives comme saltimbanque s’inscrivent dans la même démarche.

Les deux associations ainsi que leurs journaux sont au service des membres et leur permettent souvent d’intercéder auprès des maires pour des droits de séjour par exemple, régler des différends ou voir à d’autres problèmes comme l’éducation des enfants et la retraite des vieux forains.

Extrait de bibliographie de la France
par Adrien Jean Quentin Beuchot

Les deux journaux comportent un Indicateur des foires du mois qui liste par département les différentes municipalités avec les dates et le nombre d’habitants. Cela permet de réduire au maximum les couts et temps de voyage. On y trouve aussi une Revue des fêtes et foires qui renseigne sur les occasions d’affaires, les redevances exigées par les municipalités, leur niveau de tolérance ainsi que le niveau de prospérité et d’hospitalité des résidents. Inutile de se déplacer si l’économie régionale est mauvaise ou si les gens sont hostiles aux étrangers.

Le Roux nomme seulement ces deux journaux, cependant ma recherche sur la presse destinée aux forains répertorie beaucoup plus de titres comme Le forain de Paris et des départements ; Le forain Français ; l’Industriel forain ; le Journal des Foires ; Le Moniteur forain et le Moniteur général des fêtes. Plusieurs d’entre eux sont publiés par la chambre syndicale des voyageurs forains.

Publié par L'abécédaire de mes ancêtres

Bonjour, D'origine française, je vis au Canada depuis plus de 40 ans. Généalogiste amateure, j'essaye de retracer la vie de mes ancêtres. Grâce à l'aide inestimable de parents mais aussi à des photos d'époque et à des articles de journaux ainsi qu'à des documents d'état civil et d'archives, je m'efforce de remonter le temps. Les articles réunis dans ce blogue sont principalement destinés à ma famille mais aussi à toute personne intéressée à l'histoire du quotidien et de gens ordinaires ayant mené une vie supposément sans histoire. Dominique G.

2 commentaires sur « B comme Banquistes »

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