
estampe par Jean Louis Delignon, graveur
Musée Carnavalet, Paris
Mes ancêtres de 8e génération Charles Sauvignier et Françoise Toussaint étaient amodiateur et amodiatrice. Ils étaient installés en Meurthe-et-Moselle à la frontière du Luxembourg et de la Belgique et plus précisément dans la région de Villerupt, Tiercelet, Baslieux et Avillers. Mais de quoi s’agit-il exactement. Mes recherches sur le sujet ont été difficiles car je n’ai pas trouvé de définition claire du métier ou du rôle d’amodiateur.
« L’amodiateur (parfois nommé « admodiateur ») était, sous l’Ancien Régime celui qui donnait une terre en location (« à ferme »), moyennant une prestation périodique, généralement en nature (céréales, etc.). L’amodiateur est un officier de la terre. Son rôle est d’affermer (fixer les montants des fermages) les revenus de la seigneurie pour une durée de 3 ou 6 ans, éventuellement renouvelable. L’amodiation supposait une connaissance approfondie de la richesse d’un fief, pour fixer un niveau d’enchère (augmentation) procurant un bénéfice raisonnable »... « L’amodiateur donnait en « amodiation » telle ou telle terre cultivable à un « amodiataire ». La terre (« ferme ») était « amodiée » pour telle ou telle quantité de blé, par exemple. » Wikipedia
Cependant, il semble que ces deux termes : amodiateur et amodiataire aient été régulièrement confondu et qu’amodiateur ait prévalu dans les deux cas. Aussi, la question se pose : mes ancêtres étaient-ils des fermiers ou bien des régisseurs et administrateurs engageant des fermiers, métayers ou journaliers cultivant la terre d’un seigneur ? En fait, je pense qu’ils étaient les deux.
Définitivement associés à la noblesse, les amodiateurs géraient et faisaient fructifier les terres et domaines appartenant à des seigneurs ou à des ordres religieux. Certains se disaient laboureurs, fermiers ou même fermiers généraux tandis que d’autres ayant aussi des charges de prévôt ou de procureur sous-amodiaient à des parents ou encore engageaient des laboureurs pour s’occuper de la terre. Il semblerait qu’après les amodiateurs, les laboureurs étaient parmi les plus riches ayant des terres plus grandes et surtout de l’équipement et des animaux pour travailler la terre.

Les premières occurrences concernent mes ancêtres de 9e génération Henry Toussaint qui est dit amodiateur de M. le comte de Lamberty en 1713 et Pierre Sauvignier (1666-1743) qui au fil des années sera officier du comte d’Hunolstein dans sa Seigneurie de Tiercelet, procureur en la Haute Justice du Ban de Bazaille, admodiateur de la Seigneurie du Ban de Bazaille et facteur des forges de Villerupt au fur et à mesure que la famille s’agrandit et déménage.

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Archives de Meurthe-et-Moselle
En 1728, son fils Charles Sauvignier, mon ancêtre de 8e génération, est également amodiateur de Baslieux puis de la Seigneurie d’Avillers et d’Haucourt, vers 1744. au baptême de sa fille Françoise.
J’ignore où et quand Charles et Françoise sont nés. Les registres de l’époque ont disparu. J’ignore également le lieu et la date de leur mariage. Peut-être que je le découvrirai un jour par hasard. En attendant, je leur ai donné une date approximative de mariage en 1717. Elle aurait eu dix-huit ans et lui vingt-deux. Malgré ces lacunes importantes, j’ai quand même pu reconstruire une partie de leur parcours grâce aux actes de naissance de leurs vingt enfants nés de 1718 à 1745 soit une période de vingt sept ans pendant laquelle ils ont tous survécu.

Archives de la Meurthe et Moselle
De 1717 à 1720, le couple est à Tiercelet où naissent leurs deux ainés. En 1720, ils ont déjà déménagé à Baslieux où ils resteront neuf ans et auront sept autres enfants. Dès 1728, Charles est identifié comme admodiateur en la Seigneurie de Baslieux. Pour l’occasion, les parrain et marraine de leur fille Françoise sont Nicolas François Tridant amodiateur et procureur fiscal de la région et leur nièce Jeanne Françoise Mathieu fille de François Mathieu, prévôt des cinq villes et officier de la seigneurie. En 1730, début trentaine, ils sont installés à Avillers où naitront onze autres enfants. À partir de 1744, les registres commencent à faire mention de sa position d’amodiateur de la Seigneurie d’Avillers et d’Haucourt à la naissance de leur dernier fils, Nicolas Sauvignier qui est aussi mon ancêtre. Un an plus tard, on le dit également bourgeois de la paroisse à la naissance de leur fille Marguerite.


précédées de notions sur le régime féodal, par l’abbé Caulin, Gallica
Cependant en tant qu’amodiateurs, il est possible qu’ils n’aient pas seulement géré ou fait fructifier les terres. Ils pouvaient également avoir pris les droits et redevances du seigneur. Ainsi, la petite noblesse locale amodiait (louait) ses droits sur des terres ou des redevances que les amodiateurs s’occupaient de percevoir en leur nom.
Prendre à ferme : Prendre en location à un propriétaire, un bien ou un droit, moyennant une redevance en nature ou en espèce, en parlant du locataire.
Ainsi, l’amodiation était une procédure couramment utilisée par les seigneurs et le clergé. Au cours de mes recherches, j’ai relevé des amodiations de moulins et de petites entreprises comme des forges.
Charles Sauvignier, probablement né vers 1695, est l’ainé d’une fratrie dont je connais sept garçons et cinq filles. Tout comme lui, plusieurs de ses frères étaient amodiateurs tels que Nicolas qui est laboureur alors que Nicolas Jacques est dit aubergiste, fermier et amodiateur de la terre de Bazailles où la famille a grandi.
Ils ont définitivement l’esprit entrepreneurial et cumulent souvent les fonctions. Ils travaillent fort et s’installent durablement dans une région. Chaque année, ils doivent s’assurer de pouvoir payer le seigneur dont ils exploitent les terres. Les termes en sont convenu dans les contrats pluriannuels notariés qu’ils ont conclus et ce quelles que soient les circonstances.
D’autres membres de la famille sont procureur, avocat, praticien (conseiller juridique), brigadier tandis que leurs soeurs font de bons mariages. Plusieurs de leurs beaux-frères sont également avocats à la cour, notaires ou encore prévôt ou maire. Ainsi François Mathieu un des beaux-frères de Charles Sauvignier est avocat à la cour, prévôt, gruyer ou administrateur et chef de police des cinq villes du comté de Mercy. Les seigneuries étant petites, la même personne cumulait plusieurs fonctions.

Si dans mes recherches, je n’ai trouvé aucune plainte concernant mes ancêtres directs et leurs familles, les références à des contentieux entre les citoyens et leurs seigneurs et amodiateurs sont nombreuses dans plusieurs parties du royaume de France. Les villageois défendent âprement des droits qu’ils considèrent comme acquis surtout en ce qui concerne des terres ou des forêts communales sur lesquelles le seigneur ou le clergé a des prétentions. Ces terres et forêts leur servent à faire paitre leurs quelques bêtes, les fournissent en bois de chauffage et en matière organique pour enrichir et amender les sols ainsi qu’en champignons et châtaignes qui sont une part importante de leur alimentation.
Le fait d’avoir des connaissances influentes et des avocats dans la famille font que les causes des amodiateurs peuvent durer des années allant d’appel en appel et coutant souvent très cher aux différentes parties mais surtout aux villageois.
Plusieurs abus et situations ont aussi été dénoncés au moment de la rédaction des cahiers de doléances comme en témoigne cet extrait du deuxième tome de l’ouvrage Le clergé de la Moselle pendant la Révolution par Paul Lesprand. On y relate une émeute au ban de Bazailles autour des droits sur des terres et forêts considérées comme communales à une période de grande misère. Le récit représente bien les disputes récurrentes qui opposaient les habitants des villages aux seigneurs que ceux-ci soient nobles ou ecclésiastiques.


Le clergé de la Moselle pendant la Révolution. 2, La suppression des ordres religieux (fin),
par Lesprand, Paul (1869-1943)
Bien sûr, après la Révolution de nombreux amodiateurs ont disparu. Plusieurs se sont consacrés à leur charge d’avocat ou d’administrateur tandis que d’autres sont restés fermiers. Étant instruits et expérimentés, certains Sauvignier se sont reconvertis dans l’armée et dans les douanes.
Source : Quelques Seigneuries au Vallage en Champagne propre, précédées de notions sur le régime féodal, ouvrage accompagné de tableaux généalogiques, par l’abbé Caulin, Louis Alexandre Eudoxe (1821-1882?) Le clergé de la Moselle pendant la Révolution. 2, La suppression des ordres religieux (fin), par Lesprand, Paul (1869-1943)
Bonjour, c’est un article très intéressant. Une petite coquille sur la date théorique de mariage 1717 et non 1917 😉. Je vous souhaite de belles fêtes de Pâques. Bien à vous. Sylvie
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Wow! Merci beaucoup pour le signalement que je vais corriger immédiatement. Excellente Pâques à vous aussi. Dominique
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Très intéressant, instructif et vivant. On a l’impression d’être avec eux, il se passe beaucoup de choses. Bravo!
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Merci Lorraine, c’est un article qui m’a donné un peu de fil à retordre. J’imagine qu’une visite aux archives de Meurthe-et-Moselle dans les minutes des contrats de fermage m’en apprendrait plus. Lors d’un prochain voyage peut-être !
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Twenty children! Astounding! I guess they were lovers not fighters so no disputes with neighbours!! It would take alot of mushrooms to feed a family that size!
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Astounding indeed especially when you think that they all survived. Fortunatly there is always so much to do on a farm. That help must have been precious !
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