
Cela sonne presque comme un oxymore, réunissant deux termes contradictoires alors que le religieux est associé au séculaire.
« Le clergé régulier, qui vit à l’écart du monde et selon une stricte règle de vie, dans des monastères (moines, religieuses, abbés,…). Le mot laïc vient du grec laos, qui désigne les gens du peuple. Dans la langue ecclésiastique, il désigne les membres de la communauté chrétienne qui n’appartiennent pas au clergé. »1
Pourtant les clercs laïcs ont rendu bien des services et vivaient souvent selon des règles très strictes imposées par l’église qui était toute puissante. Mais, à la grande différence des membres du clergé, qui font voeux de célibat et de chasteté, ils étaient mariés et dans les textes on réfère parfois ainsi à eux.
Dans sa recherche sur l’histoire de l’éducation dans l’Aisne, Bernadette Moyat en parle en ces termes : « … le mot “clerc” marchait presque toujours de pair avec maître… Du XIIe au XVIe siècle, les magistri scholarum étaient appelés clercs en qualité d’auxiliaires du clergé et Carlier, dans son “Histoire du Valois”, parue en 1765, écrit : “le soin de présider à l’instruction de la jeunesse fut déféré aux curés et l’exercice de cet emploi confié à des clercs tantôt séculiers, tantôt laïcs, selon les lieux et la situation des paroisses”. « 2
Le seul clerc laïc de mon arbre vivait à Monampteuil, petit village de l’Aisne, où vivaient également mes ancêtres de 7e génération : Jean Étienne Judas marié à Marie Claude Jumeaux. Lui est tonnelier et elle fille de tonnelier. Mariés le 21 mai 1753, elle a seulement dix-neuf ans et lui en a vingt-deux.
Six semaines plus tard, naissait une petite Marie Elisabeth qui décédait après trois semaines. Mariés pour le meilleur et pour le pire, ils vont rester unis pour plus d’un demi-siècle alors que Jean Étienne est décédé en mai 1804, au lendemain de leur cinquante et unième anniversaire de mariage. Sur une période de vingt-deux ans soit de 1753 à 1775, ils ont eu treize enfants dont seulement cinq ont atteint l’âge adulte un garçon (mon ancêtre) et quatre filles dont trois ont fondé une famille.
Jean Étienne et Marie Claude avaient reçu une certaine éducation et savaient, entre autres, signer. Jean Étienne maniait la plume avec une certaine aisance et la signature de Marie Claude est clairement lisible bien que plus hésitante. Pourtant, leurs filles devront déclarer ne savoir le faire. Dire que de nos jours, dès la maternelle ou prématernelle, les enfants savent écrire leur prénom.

ainsi que de leur beau-frère Jean Florentin Rachet
Registre paroissial de Monampteuil 5Mi0133 – 1751 1771 – Archives départementales de l’Aisne
Pourtant Marie Françoise Jumeaux, la soeur aînée de Marie Claude, avait épousé un certain Jean Florentin Rachet, clerc laïc et par le fait même maître d’école. Tous deux savaient signer et on retrouve la signature de Jean Florentin bien en évidence en haut à gauche des signatures de bien des actes d’état civil de Monampteuil.
Le couple a eu dix enfants dont huit ont survécu. Tout comme le fils Judas, les petits garçons Rachet ont appris à signer et plus. Mais, ce n’est pas le cas des filles qui doivent se contenter de la mention « a déclaré ne savoir signer de ce interpellée » sur leur acte de mariage ou sur les actes de baptême des nouveau-nés dont elles sont les marraines.

Il faut dire que l’école n’est pas obligatoire et que le papier est rare et coute cher. De plus, en dehors des sages-femmes, les femmes ont très rarement l’occasion de signer. Tant et si bien qu’en 1783, soit trente ans après son propre mariage, Marie Claude déclare, elle aussi, ne savoir le faire à l’occasion du mariage de Marie Angélique, sa fille ainée. A-t-elle oublié comment faire ? Est-elle gênée à l’idée de tenir une plume ?
Je me pose aussi bien d’autres questions. Je me demande, entre autres, pourquoi les filles de ces deux familles, tout comme bien d’autres, n’ont pas appris à signer leurs noms ? Les enfants du village d’environ 450 âmes étaient-ils trop nombreux ? L’école était-elle trop petite ou réservée aux garçons ? l’économie était-elle si mauvaise que les parents n’avaient pas les moyens d’envoyer tous leurs enfants à l’école ? Comment des parents, ayant quelques rudiments d’écriture, peuvent-ils ne pas l’avoir enseigné à leurs filles ?
La réponse réside peut-être dans le fait que les responsabilités des clercs laïques ne s’arrêtaient pas à l’instruction des enfants. On leur demandait de performer plusieurs fonctions telles celles de chantre et de sonneur de cloches pour lesquelles ils étaient rémunérés séparément.
Dans certaines régions, le maître d’école et clerc laïc était choisi par concours. Ce fut le cas du village du Souich, en Picardie et Artois, en 1785. Voici un résumé des conditions3 imposées aux candidats. Le maitre d’école devra :

1. se conformer aux statuts et règlements.
2. tenir l’école pendant dix mois de l’année : du 1e octobre au 1e août.
3. recevoir et instruire gratuitement les enfants pauvres de la paroisse.
4. se loger à ses dépens, en un lieu commode, et le plus près de l’église.
5. fournir un poêle pour le chauffage: les écoliers apportant le bois selon l’ancien usage.
6. sonner l’angélus et remplir les fonctions de clercs, de lire les placards, ordonnances et règlements (probablement à la sortie de la messe).
7. suivre les statuts diocésains.
Selon le même document, voici quels étaient les émoluments rattachés à la fonction :
1. il recevra chaque dimanche dans toute maison où il portera l’eau bénite suivant l’usage ancien un sol ou un petit pain de cette valeur par ménage.
2. annuellement il recevra 5 sols par ménage qui lui seront payés au terme de la St Jean Baptiste (le 24 juin).
3. annuellement il recevra 3 sols par mois pour l’écolage des enfants qui apprennent à épeler et à lire.
4. annuellement il recevra 5 sols par mois pour ceux qui apprendront à lire et à écrire.
5. annuellement il recevra 6 sols par mois par ceux qui apprendront à lire l’écriture et l’arithmétique.
À titre d’exemple, suivent quelques articles du règlement établi par Pierre Louis Parisis, évêque d’Arras, le 25 février 1852. 4
Article I. Les fonctions des clercs-laïques sont d’aider Messieurs les curés dans la célébration du saint Sacrifice de la Messe et des offices de l’Église, et dans toutes les autres cérémonies ecclésiastiques qui réclament leur assistance.
Article II. Ils sont chargés de pourvoir à la propreté de l’église, de la sacristie, des ornements, et de tous objets qui servent au culte divin. Toutefois ils ne touchent point les linges ni les vases sacrés sans en avoir obtenu de Nous la permission.

Article III. Le chant des offices étant une de leurs principales fonctions, ils s’y appliqueront avec le plus grand soin, pour lui donner, autant qu’ils le, pourront, cette décence, et cette harmonie qui, selon les vues de l’Église, doivent exciter la dévotion des fidèles.
Article V. Ils formeront les enfants à la science du chant sacré, particulièrement ceux qui sont employés au service de l’église, et devront leur donner au moins deux leçons par semaine, d’une heure chacune.
Article VII. Ils mèneront une conduite régulière et chrétienne, conforme en tout aux sentiments de religion et de piété que leurs fonctions réclament, se souvenant qu’ils sont en spectacles à Dieu et aux hommes, et qu’approchant plus souvent et plus près du Sanctuaire, ils doivent aussi se montrer plus dignes de cet honneur.
Articles VIII. S’ils sont chargés de l’école, ils la tiendront avec zèle et surtout chrétiennement, s’étudiant à former le cœur encore plus que l’esprit de leurs élèves. Ils leur apprendront les prières du chrétien et le catéchisme ; ils les surveilleront à l’église ; ils ne leur donneront que de bons conseils et de bons exemples. Ils ne souffrirons point de livres qui n’aient été vus et admis par M. le Curé.
Article IX. Les clercs-laïques doivent à leur curé le respect et la déférence en toutes circonstances, et la soumission en tout ce qui regarde les devoirs de leur charge.
Article XI. Pour rester fidèles en tout aux bonnes mœurs et pour conserver l’estime dont ils doivent d’entourer, ils éviteront les genres de divertissements qui ne s’accorderaient pas avec la dignité de leur emploi, principalement la fréquentation des cabarets et les sociétés de jeux.
Article XII. Il leur est spécialement défendu de tenir auberge ou cabaret, et généralement d’exercer toute profession qui dérogerait à leur qualité de clercs-laïques.
Sans vouloir minimiser l’importance de la foi pour la population, il me semble clairement y avoir une dichotomie entre, d’une part les attentes de l’évêque surtout intéressé au service religieux et à l’enseignement du catéchisme, et d’autre part les attentes des paroissiens et notables qui veulent que leurs enfants apprennent à lire, écrire et compter. Il semblerait que le problème n’était pas unique à la Picardie comme on a pu le voir avec le collatéral de mes ancêtres de Monampteuil.
Sources:
- https://www.herodote.net/clerge_clerc_laic-mot-23.php
- Du maître, clerc laïc à “l’instit”… à travers 312 ans d’histoire de l’école de Brécy (Aisne) par Bernadette Moyat http://www.histoireaisne.fr/memoires_numerises/chapitres/tome_32/Tome_032_page_038.pdf
- Choix et nomination d’un maître d’école et clerc laïc dans un village au XVIIIe siècle, par M. Paul Rudet, Conservateur du Musée et des Archives de la Ville de Doullens, Société des antiquaires de Picardie. Gallica
- Forum de Généalogie du Nord Pas de Calais / Clerc laïc et marguilliers, Haute vallée de la Canche : https://www.gennpdc.net/lesforums/index.php?showtopic=90337