
Les distances et les moyens de déplacement sur terre ou sur l’eau ont toujours été un enjeu, à tel point que nos ancêtres voyageaient peu. Nombreux étaient ceux qui ne quittaient jamais leur région et même s’éloignaient rarement à plus d’une vingtaine de kilomètres de leur lieu de naissance.
Certains se retrouvaient quand même sur les routes pour leur travail comme les scieurs de long qui quittaient leur massif central pour aller couper du bois dans d’autres régions de France et parfois s’y installer pour de bon. Comme il leur fallait transporter leurs longues scies, ils se déplaçaient par deux ou trois, souvent de la même famille, principalement en voiture tirée par un ou deux chevaux.
Dès le 18e siècle, un système de diligences était mis en place pour permettre le transport des voyageurs occasionnels. Des routes étaient établies et les agglomérations se livraient à une féroce compétition pour être situées sur leur passage. Leur développement et parfois même leur survie en dépendait comme en fait foi cet extrait des cahiers de doléances de Cléry du bailliage d’Orléans :

Cahier de Cléry p. 490-491- Gallica
Art 4 – Il y a quelques années que le gouvernement faisait espérer aux habitants de Cléry, et par conséquent à ceux de Saint-Mesmin, Lailly, Saint-Laurent-des-Eaux et Saint-Dyé, qu’on leur rendrait la poste qui leur a été enlevée il y a 14 ans pour la reporter sur une route absolument impraticable en hiver, route qui, d’ailleurs, est dispendieuse et remplie d’excavations, tandis qu’il est notoire que la route d’Orléans à Blois par Cléry et Saint-Dyé est superbe, consolidée depuis cinquante ans, praticable dans toutes les saisons, en hiver comme en été, droite et unie et même plus courte de près de quatre cents toises. Il y a plus de ressources par cette dernière route qui divise le val de Loire d’avec la Sologne : les foins, pailles et fourrages y sont communs. Les habitants gémissent de voir un pays qui était florissant actuellement ruiné de fond en comble; ils ont des réclamations, mais n’étant appuyés de personne et ayant eu contre eux des grands qui avaient du crédit et dont les terres étaient situées sur la nouvelle route de Meung, Ménars, etc., ils n’ont point été écoutés; ils osent demander ce qui leur a été enlevé.
À la fin du 18e siècle, les routes étaient aussi fréquentées par différents véhicules comme les coches qui effectuaient surtout des voyages de proximité ou les turgotines instaurées par le ministre Turgot qui de 1765 à 1780 « rapetissent de plus de moitié l’éloignement de certaines grandes villes. » Il y avait aussi des berlines pour quatre personnes tirées par quatre ou six chevaux et des limonières pour trois voyageurs et trois chevaux.
Quand mon ancêtre Constant Guillaumant décida d’aller tenter sa chance à Paris vers 1828, ce fut une décision longuement murie car il lui fallait bien planifier son voyage, rassembler assez d’argent et demander au maire de Meung-sur-Loire un « passeport à l’intérieur » détaillant toutes les étapes de son trajet. Ce passeport allait être visé partout où il s’arrêterait. Pour l’obtenir, il devait non seulement donner la raison de son voyage mais aussi se présenter avec deux témoins pouvant attester de son identité ainsi que de sa moralité.
Rien ne fut fait à l’improviste, car il fallait aussi réserver sa place dans la diligence plusieurs jours à l’avance. Comme il partait pour chercher du travail et potentiellement s’établir à long terme, il devait penser aux bagages mais aussi, en tant que scieur de long, à ses outils de travail. À moins, qu’il ait décidé de s’en procurer de nouveaux, une fois à Paris.
Sa première étape fut probablement Orléans avec la diligence vers Paris. À l’époque, il existait une ligne Paris-Bordeaux qui passait par Orléans. De Bordeaux, on pouvait ensuite rejoindre l’Espagne. Mais, Constant, allait dans l’autre direction, à seulement cent cinquante kilomètres de chez lui.
Comme son nom l’indique, la diligence est alors un des moyens les plus rapides de se déplacer. Mais, leur rapidité est toute relative car on estime qu’avec leurs lourdes charges, elles parcouraient tout juste une dizaine de kilomètres à l’heure. Constant a donc dû compter une quinzaine d’heures pour se rendre de Meung à Paris. À condition, bien sûr, de voyager sur des routes décentes et de n’avoir aucun accident ou bris ce qui arrivait souvent.

Bulletin des lois du royaume de France, Paris https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6525590n/f145
Le début du 19e siècle est considéré comme l’âge d’or des diligences et plusieurs compagnies de voiturage comme les messageries Laffite et Caillard, établies rue St Honoré à Paris offraient un service de voiturage. Celui-ci prenait un peu plus de temps que la malle-poste, qui était la seule autorisée à aller au galop, tout en courant les mêmes risques quant à l’état des routes et aux accidents.
D’ailleurs, en 1820, le roi émettait une ordonnance afin de réglementer le nombre croissant de compagnies de messagerie et de voiturage et de limiter le nombre d’accidents qui sont qualifiés de graves et fréquents.
De toute façon, à moins de voyager de nuit, les passagers aimaient bien voir tranquillement défiler le paysage et découvrir de nouveaux lieux ou encore pouvoir débarquer de voiture et marcher un peu quand la route était mauvaise ou qu’il fallait aider les chevaux en mettant l’épaule à la roue.

photo par Laura de Logivière -Google maps
Ces longs trajets demandaient plusieurs arrêts pour changer les attelages et permettre aux passagers de se remettre un peu des aléas du voyage. Ainsi tout au long de la route se trouvaient des relais de poste qui servaient aussi d’auberge.
C’était de larges demeures gérées par un maitre de poste avec des écuries pour plusieurs dizaines de chevaux, des logements pour les postillons et une loge pour le guetteur en charge le soir d’ouvrir les portes aux équipages ayant été retardés ou accidentés.
Comme l’indique le site web du relais de poste aux chevaux de Launois-sur-Vence : « L’importance de la halle aux diligences, le nombre des écuries, les proportions des greniers à foin, des réserves à grain, les dimensions des deux hautes portes charretières, l’imposante demeure du Maître de Poste dotée d’une table d’hôtes et surmontée de ses chambres pour voyageurs… sont le vivant témoignage d’une intense activité. »
Chaque relais avait ses propres chevaux et employait plusieurs dizaines de postillons qui se chargeaient de ramener, au pas, les chevaux à leur relais d’origine. La circulation sur les routes de France était intense et en 1840, le pays comptait plus de huit mille postillons.
Au fil du temps et des changements de gouvernement, la poste royale s’était transformée en poste républicaine puis impériale avant de redevenir la poste royale sous la Restauration de 1814 à 1830.
Progressivement, les voitures se sont s’agrandies au point de pouvoir transporter une dizaine ou quinzaine de personnes, en plus du cocher et des postillons. Certaines voyageaient à l’intérieur, et d’autres à l’extérieur. Comme le cocher, ces derniers subissaient les intempéries mais le coût de leur voyage était moindre que pour ceux voyageant à l’intérieur.
Dans de telles conditions, les visites étaient rares et Constant ne revenait pas souvent à Meung. Mais, les choses allaient changer vers le milieu du 19e siècle. Ainsi, dès 1845 avec la construction puis l’exploitation des lignes de chemin de fer, les entreprises de diligences commencaient à perdre du terrain et à péricliter. Chaque nouvelle ligne entraînait la fermeture des malles-postes et des relais établis sur leur itinéraire. Elles ne peuvaient pas compétitionner avec la rapidité et probablement le confort du train.
Il est estimé que pour parcourir les 132 kilomètres séparant Orléans de Paris, il fallait compter deux heures en 1870. En comparaison, la même distance prenait deux jours et demi au pas (à 60 000 pas par jour); 24 heures en 1800 et 12 heures en 1830 avec la diligence ou encore 9 heures en malle-poste en 1840.
« Les Relais de Poste vont disparaître avec le développement des lignes de chemin de fer. En 1851, la ligne de chemin de fer Paris-Bordeaux est inaugurée. Le 31 mai 1873, les Relais de Poste aux Chevaux sont officiellement supprimés. » Extrait de l’information fournie par le relais de la poste aux chevaux des Ormes.

desservant Paris – Wikipedia
Une fois à Paris, Constant a probablement pu utiliser les voitures publiques de l’entreprise générale des dames blanches qui offrait un tout nouveau service d’omnibus dans la capitale.
Autre avancée importante, vers 1860, avec l’avènement du chemin de fer et l’accroissement constant du nombre de voyageurs l’administration française doit admettre qu’elle est dépassée et abolir l’usage des « passeports à l’intérieur ». Les déplacements devenus de plus en plus faciles et abordables vont jouer un role essentiel dans le développement de Paris.
Sources :
- Cahiers de doléances du bailliage d’Orléans pour les États généraux de 1789 publiés par Camille Bloch. Gallica
- Les « passeports à l’intérieur » : quand il fallait un passeport pour voyager à travers son propre pays, par Johanna Daniel. circulation – Isidore & Ganesh (hypotheses.org)
- Mobilité et temporalité – Une histoire de la vitesse : le temps du voyage par Christophe Studeny, Mobilités et temporalités – Une histoire de la vitesse : le temps du voyage – Presses de l’Université Saint-Louis (openedition.org)
- La Poste aux Chevaux : Le monument – Le Relais de la Poste aux Chevaux des Ormes
- La Relais de Poste aux Chevaux de Launois-sur-Vence L’histoire – Relais de la Poste aux Chevaux
- Wikipedia 1828 en France — Wikipédia (wikipedia.org)
The railway changed Canada too!
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