En ce mois de la Saint Valentin, voilà qu’on nous propose de parler d’amours malheureuses ou d’un fait divers. C’est un peu contre intuitif mais dans les circonstances pourquoi ne pas parler des deux.

Tout commence pour le mieux avec un entre-filets de deux lignes dans l’Indicateur des mariages du 6 avril 1862 et dans la Presse du 11 avril suivant annonçant le mariage d’Albin, Joseph, Nicolas Guillaumant et Émélie, Marie, Octavie Diot. Le mariage sera célébré le 26 avril suivant à la mairie du 20e arrondissement, où demeure la future mariée. Tous deux ont vingt-deux ans.
Lui est né et a vécu toute sa vie dans le faubourg Saint-Antoine où il travaille comme sculpteur sur bois. Il est le sixième et avant-dernier fils de mon ancêtre de 5e génération Constant Guillaumant mort neuf ans plus tôt, en 1853. Sa mère, Marie Félicité Gamard, qui se dit teinturière, est présente et consentante.
Émélie travaille comme sous-maitresse. Elle est la fille d’un marchand drapier de Bray-sur-Somme, dans la Somme justement, où elle est née et a grandi. Son père est également décédé mais sa mère, Marie Josèphe Clarisse Gaudefroy, a fait le voyage jusqu’à Paris.
Parmi les témoins au mariage, on retrouve Louis Frédéric Guillaumant, frère du marié, vernisseur âgé de trente ans ainsi qu’Eugène Cuche, son beau-frère, sculpteur. Les témoins de la future sont son oncle maternel Alexandre Constant Gaudefroy, rentier âgé de soixante-neuf ans et Jean Baptiste Fourré, ébéniste âgé de trente ans qui est aussi son ami et voisin.
De 1866 à 1879, le couple aura deux filles et quatre garçons dont un mourra avant d’atteindre un an et un autre ne vivra que quelques jours.
Les deux aînés sont nés à Bray-sur-Somme, probablement pour bénéficier de l’aide de Clarisse, leur grand-mère. Mais, celle-ci commence à se faire vieille aussi les quatre autres naîtront à Paris. En se mariant Émélie a probablement perdu son emploi et travaille désormais avec son mari ou sa belle-famille. Dès 1864, elle est dite vernisseuse.

Marie Octavie Félicité Guillaumant et Pascal Marcellin Hollande
La famille reste proche de Bray-sur-Somme où les enfants sont envoyés durant les vacances scolaires quand ils n’aident pas à gagner un peu d’argent. Ils demeurent probablement chez leur grand-mère au moins jusqu’en 1883 ou encore son décès en juin 1884.
C’est là, qu’en décembre 1885, leur fille aînée, Marie Octavie Félicité âgée de vingt-deux ans épouse Pascal Marcellin Hollande, cordonnier de vingt ans et huit mois. Seul son père, Nicolas est venu de Paris pour consentir au mariage. Émélie qui travaille alors comme domestique a cependant été informée et consultée.
Le trente et un janvier 1887, Émélie obtient enfin du Tribunal civil de première instance de la Seine, le divorce qu’elle a demandé deux ans plus tôt. C’est que depuis quelques années déjà, rien ne va plus entre Nicolas et elle. Il a d’ailleurs déménagé au 80 rue Claude Decaen, chez une certaine Madame Crambin.

mariage de Albin oseph Nicolas Guillaumant
et Emélie Marie Octavie Diot
Archives de Paris
Par jugement du Tribunal civil de la Seine en date du trente-un janvier mil huit cent quatre vingt sept transcrit en cette mairie le vingt-sept juillet mil huit cent quatre vingt sept Reg III, r 647 le mariage de Albin Joseph Nicolas Guillaumant et Emélie Marie Octavie Diot a été dissout par le divorce. Dont mention faite par Nous soussigné, Henri Chassin, adjoint au Maire, Officier de l’État civil du vingtième arrondissement de Paris, le vingt-sept juillet mil huit cent quatre vingt sept
Le jugement est au bénéfice de l’épouse qui a invoqué les articles 230 et 231 introduits depuis peu. Ces articles qui couvrent les causes « d’excès, sévices et injures graves de nature à demander un divorce » sont souvent invoqués.
En 1896, au mariage de leur fils aîné Henri Antoine, c’est Émélie qui est présente alors que Nicolas est déclaré absent. On certifie même ne pas connaître son adresse. Émélie habite maintenant Courbevoie, à quelques maisons de chez son fils et sa bru.
Les ponts semblent être coupés entre Nicolas et ses enfants car une fois de plus il est mentionné comme « disparu » en 1900 lors de l’engagement pour l’armée de Félix Arthur, son fils benjamin. Son absence permettra d’ailleurs à celui-ci d’être exempté selon l’article 20 en tant que soutien de famille. Bien qu’il ait tiré un mauvais numéro, Félix Arthur ne fera que quelques mois dans l’armée du 14 novembre 1900 au 21 septembre 1901 avant de passer dans la réserve active.

Nicolas va décéder seul, à l’insu de sa famille, le 18 juillet 1908, au 119 rue de Montreuil, 11e arrondissement. Il a soixante-treize ans et a été découvert par sa concierge probablement alertée par un jeune sculpteur sur bois de ses amis, demeurant dans le même immeuble. Il sera inhumé deux jours plus tard au cimetière parisien de Pantin sous le nom de Joseph Guillaumant.
Quant à Émélie Octavie, je la cherche encore. La dernière trace que j’ai d’elle est en juin 1905 au décès de son fils Félix Arthur, âgé de vingt-cinq ans. Elle demeure depuis quelques années au 27 rue St Pétersbourg, à Paris. Elle est alors âgée de soixante-cinq ans, célibataire et sans profession connue.
Sur Gallica, une recherche sous Guillaumant donne, entre autres, ce tragique fait divers publié par le journal Le Gaulois du mardi 1er décembre 1925 et que j’ai cru, un temps, relié à Émélie Diot :

Brûlée vive Un commencement d’incendie a éclaté hier matin dans la loge de Mme Marie Guillaumant, soixante et onze ans, concierge, 156, avenue de Fontainebleau, à Bicêtre. Quand les pompiers eurent éteint le sinistre, ils trouvèrent le cadavre de Mme veuve Guillaumant. L’infortunée, surprise dans son sommeil, n’avait pas eu le temps de s’enfuir et elle avait ètè brulée vive. Le feu aurait été occasionné, croit-on, par une lampe à essence que Mme veuve Guillaumant avait laissé allumée toute la nuit.
Malheureusement, seules les tables décennales des décès du Val de Marne sont consultables en ligne. Je n’y ai pas trouvé de Marie Diot ni de Marie Guillaumant mais une Marie Désirée Guillaumont décédée le 30 novembre 1925. C’est peu d’informations, mais cela me conforte dans mon sentiment qu’il s’agit probablement d’une erreur typographie et que je dois continuer à chercher.
Cependant, je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée pour cette pauvre madame Guillaumont morte dans des circonstances atroces et pour les inquiétudes des Guillaumant de l’époque qui, s’ils ont eu vent de l’affaire, ont dû se demander qui était cette parente éloignée décédée dans un incendie.
Sources :
- La notion de faits injurieux dans le divorce et la séparation de corps au XIXe siècle Bénédicte Decourt Hollender, Revue historique de droit français et étranger (1922-)Vol. 90, No. 3 (JUILLET-SEPTEMBRE 2012) pp. 329-378 (50 pages)
- Wikipedia : Bray-sur-Somme