A comme Alphabet de la Grande Guerre

Pour mon dernier article de l’année, je vous propose un sujet un peu plus ludique que d’habitude avec un livre pour enfants dont le sujet est cependant loin d’être enfantin.

J’ai découvert ce petit livre illustré par André Hellé et publié en 1915, durant la préparation de mon article sur les enseignants durant la Première Guerre mondiale. Cet alphabet était conçu à l’intention des enfants des soldats français. Avec la conscription obligatoire, tous les enfants, ou presque, avaient alors un père sous les drapeaux.

Avec lui, les enfants vont apprendre un nouveau vocabulaire militaire qui va bientôt faire partie de toutes les discussions. Voici, la table des matières surmontée de sept soldats en uniforme représentant les différents corps d’armée et les alliés.

Cet alphabet n’était pas officiellement utilisé dans les écoles, mais probablement que de nombreux enfants de familles plus ou moins aisées en ont reçu un exemplaire. Si les textes sont patriotiques et même revanchards vis-à-vis des Allemands, les illustrations ne montrent jamais de combat ni de troupes ennemies.

La première lettre de l’alphabet est consacrée à l’Alsace alors qu’on rappelle qu’elle a déjà fait partie de la France. L’image présente une population accueillant les énergiques troupes françaises avec des fleurs.

« Située à l’ouest du Rhin limite naturelle qui sépare la France de l’Allemagne, l’Alsace fut annexée à l’Empire allemand en 1871. En 1914, après la déclaration de guerre de l’Allemagne, les troupes françaises ont franchi la frontière pour reconquérir l’Alsace.« 

Pour B c’est la Batterie qui est à l’honneur. Alors que l’image représente un chariot monté d’un canon tiré par des chevaux montant une colline, le texte fait l’éloge d’un canon de fabrication française.

« Léger, souple, précis et rapide, le canon de 75, oeuvre des colonels Deport et Sainte-Claire-Deville a conquis, dès le début de la guerre, une incontestable popularité, grâce à son tir merveilleux. La batterie française de 75 se compose de quatre canons.« 

La Charge illustre le C avec des soldats qui se précipitent vers l’ennemi. Si cette charge semble glorifiée, elle est bien loin de la réalité sur le terrain.

« Malgré l’emploi des armes à longue portée, c’est l’attaque à la baïonnette, c’est la lutte corps à corps, homme à homme, qui décide de la victoire. La charge à la baïonnette est le moment suprême du combat. »

Le D ne pouvait être que pour le Drapeau entouré comme il se doit de soldats au garde-à-vous.

« Emblème national, le drapeau est aussi le signe de ralliement des soldats qui sont assemblés autour de lui pour le suivre ou le défendre. Un drapeau peut être décoré lorsque le régiment auquel il appartient s’est illustré dans un combat. »

C’est l’Estafette sur sa moto, fonçant en avant des troupes à cheval, qui illustre le E.

« Chargées de maintenir le contact avec des troupes éloignées les unes des autres, afin que les différents mouvements d’une action puissent être coordonnés, les estafettes appelées aussi agents de liaison, remplissent une mission dangereuse qui demande du courage et du sang-froid. »

Le Factionnaire qui exemplifie le F présente un soldat embusqué derrière un arbre. Celui-ci, chargé de tout son bardas, est installé dans une position peu confortable.

« L’oeil aux aguets, dissimulé de son mieux, le factionnaire regarde et écoute. C’est de l’attention qu’il apporte à son rôle que dépend le sort des troupes qui sont derrière lui, qu’il doit avertir de l’approche des ennemis. »

Les Grand’gardes illustrant le G sont dans l’attente d’une action avec leurs fusils installés en premier plan.

« En avant des forces principales, les grand’gardes sont installées pour arrêter un mouvement offensif de l’ennemi et donner le temps aux troupes qu’elles couvrent de se préparer à la défense ou d’envoyer des renforts pour repousser l’assaillant. »

Le H est pour Highlander, ces soldats écossais qui sont présentés de façon plus folklorique que militaire.

« Alliée de la France, la Grande-Bretagne a envoyé sur le continent plusieurs régiments de highlanders. Ces soldats d’élite, originaires des montagnes d’Écosse, portent le kilt, petite jupe courte qui leur laisse les genoux découverts, et vont à l’assaut au son de la cornemuse. »

C’est à l’Infirmière, seule présence féminine ou presque de ce livre, que revient la lettre I. Sans manquer de préciser qu’elles sont bénévoles et sous les ordres des médecins !

« Dans les ambulances, dans les hôpitaux et jusque sur le champ de bataille, des femmes dévouées viennent en aide aux blessés et leur donnent les soins prescrits par les médecins sous les ordres desquels elles se sont volontairement placées. »

Le J est consacré à la gloire du général Joffre !

« Après avoir décidé que « tous les efforts de l’armée devaient être employés à attaquer et refouler l’ennemi », le général Joffre, généralissime des forces franco-anglaises, remporta, le 13 septembre, la victoire de la Marne et anéantit le plan d’attaque brusquée allemand. »

Ce sont les milliers de Kilomètres de front, tant à l’est qu’à l’ouest, qui sont représentés sous le K.

« Jamais aucune guerre n’a groupé un nombre aussi élévé de combattants ni n’a comporté d’opérations se déroulant sur un front aussi étendu (3 000 kilomètres environ) que la grande guerre européenne de 1914. »

Le Lance-bombe, qui illustre la lettre L, est clairement une arme d’une autre époque, mais qui a fait ses preuves.

« Les armées de la Grande Guerre emploient des canons à longue portée qui envoient leurs projectiles à plus de 30 kilomètres : elles se servent aussi, pour la guerre de tranchées, des mortiers, crapouillots ou lance-bombes en usage au dix-septième siècle. »

Tandis que la Mitrailleuse du M fait partie des armes modernes du 20e siècle.

« Tapies à l’abri d’un talus ou d’un fossé, les mitrailleuses arrêtent souvent, par leur feu rapide et meurtrier, l’élan d’un adversaire décidé : dans un crépitement farouche, elles crachent sans arrêt leurs projectiles : la ligne ennemie fléchit, se relâche et l’attaque est brisée. »,

Le Noir pour N rappelle que la France, en tant que puissance coloniale, n’a pas hésité à faire appel à ses troupes d’outre mer pour participer à une guerre qui ne les concerne pas vraiment.

« Les Troupes noires formées avec les indigènes des colonies françaises d’Afrique, Algérie, Maroc, Sénégal ont été transportées dans le Nord dès le début des opérations et prennent part aux batailles de la Grande Guerre. »

La lettre O va à l’Observateur qui, de sa nacelle, repère les mouvements de troupes.

« Grâce à l’emploi du ballon captif, les officiers observateurs peuvent surprendre les mouvements de l’ennemi, repérer l’emplacement de son artillerie ou se rendre compte des résultats d’un tir. Ils transmettent leurs observations au commandement, qui prend ses dispositions en conséquence. »

Avec le Poilu pour illustrer le P, Hellé remonte jusqu’en 1793 pour faire un parallèle avec les soldats de la Convention. Une référence qui a dû bien peu résonner auprès de la plupart des jeunes lecteurs.

« Comme les soldats de la Convention se sont battus en 1793 pour les Droits de l’Homme, les « poilus » de la Grande Guerre, barbus ou non, se battent pour le Droit des Nations contre l’oppression et la suprématie de l’Allemagne. »

Le Q revient de droit au Quartier géneral où l’état-major étudie les cartes.

« C’est au quartier général que sont centralisés tous les renseignements concernant les emplacements, les forces et les ressources de l’ennemi. C’est du quartier général que partent, selon la situation, les ordres d’attaque, de maintien ou de retraite. »

Le R est représenté par une armée Russe à cheval et dans la neige alors que sa principale qualité semble être son énorme contingent.

« Depuis le commencement de la guerre, la vague gigantesque qu’est l’armée russe bat la frontière austro-allemande de tout le poids de ses neuf millions d’hommes en usant, dans son flux et son reflux, les forces de ses adversaires. »

Un Sous-marin, sortant des eaux est l’unique représentation de la supériorité de l’armement allemand.

« Les sous-marins doivent guetter et torpiller les vaisseaux de guerre ennemis. Contre le droit des nations, les sous-marins allemands ont détruit des navires de commerce, avec leurs passagers, et ces événements ont été célébrés dans leur pays comme de grandes victoires navales.« 

Le T pour Tranchée est illustré par des soldats en contrebas qui observent, grâce à un périscope, ce qui se passe sur le terrain.

« Pour se protéger contre l’artillerie, l’infanterie creuse des abris dans la terre et s’y dissimule : ces abris sont les tranchées. Au moyen du périscope, appareil à miroirs qui dépasse le talus de la tranchée, le guetteur suit les mouvements de l’ennemi. »

L’Uniforme du U est tout nouvellement bleu comme le ciel.

« Un uniforme trop visible présente de nombreux inconvénients pour la troupe qui le porte. A la capote indigo et au pantalon rouge qui se voyait de loin, on a substitué, en France, un uniforme bleu clair ou « bleu horizon ». »

Des Voitures bien particulières illustrent la lettre V.

« Les voitures automobiles blindées, portant des canons ou des mitrailleuses font de hardies reconnaissances, pour suivent de leur feu les zeppelins et les taubes et inquiètent l’ennemi par leur mobilité. Elles sont le plus souvent montées par des artilleurs et des marins. »

Encore une fois, Hellé célèbre les alliés. Cette fois, avec le W et les Wagons blindés belges.

« Les Belges dont le territoire neutre fut violé par les Allemands, ont opposé une résistance héroïque à leurs envahisseurs. Les trains blindés belges, armés de canons, peuvent se porter à toute vitesse vers le lieu du combat et soutenir les manoeuvres de l’infanterie. »

Pour le X, ce sont les chevaux de frise en forme de X qui illustrent cette lettre difficile.

« Les tranchées sont flanquées de mitrailleuses. Elles sont, en outre, protégées contre les attaques de l’ennemi par des réseaux de fils de fer barbelés, par des fossés et par des chevaux de frise qui ont la forme d’une rangée d’X aux extrémités acérées. »

Curieusement, c’est le Yacht qui illustre le Y, alors que la pratique décrite devait être plutôt exceptionnelle. Celà ressemble plutôt à une concession de l’auteur aux contraintes de l’alphabet.

« Par les soins de la Croix-Rouge, des chalands et des yachts de plaisance ont été spécialement aménagés pour recevoir des blessés près des lignes de combat et les transporter, par eau, vers le lieu de leur évacuation. »

Enfin, la marche est fermée par le Zouave qui illustre le Z en permettant à Hellé un rare trait d’humour qui cependant informe peu sur ce corps d’armée.

« Un humoriste a dit que les zouaves avaient été créés pour servir de sujet à la dernière lettre des alphabets illustrés. Mais ce n’est certainement pas leur seule raison d’être. Les soldats allemands qui les ont vus à l’oeuvre pourraient le témoigner.« 

J’ignore si des enfants de ma famille ont reçu ce livre en cadeau. Peut-être mon oncle Roger qui va avoir huit ans en 1915 et, par ricochet, sa soeur qui va en avoir onze. Mais vous, l’auriez-vous offert à vos enfants ou petits-enfants ?

De nos jours, cet alphabet est étudié dans certains lycées français, comme le lycée Pompidou, pour une analyse critique du visuel et du narratif tout en les replaçant dans leur contexte historique.

Sources :

Abécédaire de guerre – Mémoires de la Grande Guerre au Lycée Pompidou … (jimdofree.com)

Publié par L'abécédaire de mes ancêtres

Bonjour, D'origine française, je vis au Canada depuis plus de 40 ans. Généalogiste amateure, j'essaye de retracer la vie de mes ancêtres. Grâce à l'aide inestimable de parents mais aussi à des photos d'époque et à des articles de journaux ainsi qu'à des documents d'état civil et d'archives, je m'efforce de remonter le temps. Les articles réunis dans ce blogue sont principalement destinés à ma famille mais aussi à toute personne intéressée à l'histoire du quotidien et de gens ordinaires ayant mené une vie supposément sans histoire. Dominique G.

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