C comme Chocolatière

Ma chocolatière en grés

Il y a quelques années, alors qu’après bien des décennies d’absence, je visitais ce village des Pyrénnées où j’avais été baptisée, des cousins généreux me firent un cadeau. Il s’agissait d’un broc ou d’un pichet en céramique brun vernissé venant de la région.

Quand j’ai demandé si l’objet avait un usage particulier, on n’a pas pu me répondre avec précision. Pourtant, l’élément le plus remarquable était bien l’anse qui au lieu de se trouver à l’opposé du bec verseur, était placée sur le côté de façon à former un angle de 90 degrés.

J’ai longtemps cherché en ligne en utilisant différents mots-clés au point de croire qu’il s’agissait d’un objet assez unique en son genre. Chemin faisant, j’ai essayé de comprendre quelles étaient les différences entre une carafe, une cruche, un pot ou encore un pichet ou un broc.

Or, selon le site « le Français de nos régions« , tous ces noms sont couramment interchangés et il serait plus question de régionalisme et de fréquence d’usage que de différence au niveau de l’objet lui-même.

Les définitions qu’on en trouve sont, cela dit, toutes assez proches: un pichet est un « récipient de petite taille, de terre ou de métal, de forme galbée avec un collet étroit où s’attache une anse, utilisé pour servir une boisson »; à l’entrée broc, la définition change à peine: « récipient à anse, de taille variable, le plus souvent en métal, avec un bec évasé, utilisé pour la boisson ou pour transporter des liquides ». La définition de cruche n’est guère différente non plus: « vase à large panse, à anse et à bec, destiné à contenir des liquides ».

Carte de France avec la répartition des différentes
fréquences d’usage en fonction des régions
francaisdenosregions.com

Un sondage a révélé que dans l’ouest et le centre de la France on préférait dire pichet et que dans le nord-est on optait plutôt pour cruche alors que la grande région parisienne privilégiait les mots broc, broc d’eau ou broc à eau. Quant au pot d’eau, il se retrouvait surtout dans la région Lyonnaise et la carafe dans le sud de la France. La région des Pyrénées semblait donc privilégier les mots pichet ou carafe mais avant tout en rapport avec l’eau sans que l’objet que je recherchais y soit clairement défini.

Cependant, ce sondage se concentrait sur les récipients à eau dont l’anse était probablement alignée avec le bec verseur. Or, dès la fin du 16e siècle, les grandes puissances coloniales comme l’Angleterre, l’Espagne et la France s’ouvraient aux boissons exotiques comme le thé, le café ou le chocolat. C’est en m’intéressant à ces différents liquides qu’une voie s’est clairement dessinée. Ce dont on m’avait fait cadeau était une chocolatière.

Plusieurs théories ont été émises et certaines attribuent l’arrivée du chocolat en France à l’installation, à Bayonne, des Juifs expulsés d’Espagne, vers 1610. Pourtant, cette expulsion a été décrétée en 1492, soit plus d’un siècle plus tôt et aussi bien avant que Cortes ne rapporte d’Amérique du Sud les fèves de cacao, en 1527.

D’autres relient l’engouement des Français pour le chocolat au mariage de Louis XIII et d’Anne d’Autriche, fille du roi d’Espagne, en 1615 ; puis en 1660, au mariage à St-Jean-de-Luz de Louis XIV et de Marie Thérèse, l’infante d’Espagne. Celles-ci auraient partagé un goût prononcé pour le chocolat et l’auraient, soit introduit, soit imposé à la cour de France. Là encore plus d’un siècle sépare la découverte de ce breuvage par les Européens et l’arrivée des deux princesses espagnoles en France.

Cependant, le chocolat était une denrée de luxe que seuls les aristocrates et les riches bourgeois pouvaient s’offrir ce qui provoqua une certaine vogue. Les chocolatières étaient alors en argent ou en or.

Collection muséale de chocolatières en métal et porcelaine anciennes et contemporaines

Au même moment, se développaient les arts de la table et s’établissaient des manufactures royales de porcelaine dont on venait tout récemment de percer les secrets de fabrication. Ainsi, ce serait Madame de Pompadour, la maitresse de Louis XIV, qui aurait commandé un service à chocolat en porcelaine aux manufactures de Sèvres.

« Ce récipient à panse arrondie ou en forme de cône tronqué muni d’un bec verseur et d’une poignée horizontale est fermé par un couvercle percé d’un trou pour le passage du batteur. »« Au 17ème siècle, pour préparer cette boisson, les chocolatières disposaient d’un trou au milieu de leurs couvercles pour passer le manche du moulinet (ou moussoir) qui servait à faire mousser le chocolat pour lui donner tout son arôme. Le moulinet est une petite masse de buis dont la tête est ciselée, avec un manche assez long par rapport à la grosseur de la tête qui remplit presque toute l’embouchure de la chocolatière. »

Service à chocolat
avec moulinet pour faire mousser le chocolat
Lou Castelbon

Il faut dire que le rituel du chocolat, et probablement celui apporté par les princesses espagnoles, était alors bien différent de ce que l’on connaît aujourd’hui et allait comme suit:

  • Faire fondre du chocolat noir en morceaux dans une casserole à fond épais avec une grande tasse d’eau. Faire fondre lentement à feu doux, le chocolat ne doit pas attacher.
  • Chauffer un litre de lait dans une casserole. Remuer le chocolat fondu avec une spatule en bois pour obtenir un mélange lisse.
  • Verser le lait chaud dans la casserole du chocolat tout en remuant continuellement avec la spatule. Le mélange doit atteindre le point d’ébullition. Retirer alors la casserole du feu et verser le contenu dans une chocolatière.
  • Ajouter 4 cuillères à soupe de sucre en poudre et un peu de vanille en poudre.
  • On peut éventuellement ajouter un peu de cannelle ou de clou de girofle finement broyés. Bien remuer, couvrir et laisser reposer une nuit à température ambiante.
  • Le lendemain, au moment de déguster, placer la chocolatière dans une grande casserole d’eau et faire chauffer au bain marie à petite ébullition.
  • Lorsque le chocolat est très chaud, retirer la chocolatière du bain-marie, l’essuyer rapidement, faire mousser le chocolat en imprimant au moulinet des petites rotations rapides entre les paumes des mains.
  • Le chocolat est prêt, vous pouvez servir et vous régaler.

On prêtait aussi au chocolat bien des vertus médicinales et on a un temps prétendu qu’il pouvait servir à traiter plusieurs maladies et non des moindres.

« Dans le milieu scientifique, la plupart des botanistes et médecins reconnaissent au chocolat des vertus digestives et des propriétés dynamisantes. Un certain docteur Bligny en vient même à le prescrire en 1717 pour guérir le rhume, la flexion de poitrine, la diarrhée, la dysenterie et… le choléra.« 

De plus, comme à l’époque il se buvait, il était autorisé pendant le carême. Ce qui lui conférait un énorme avantage pour tromper la faim en cette période de restriction qui durait quarante jours.

Chocolatière en métal avec une source de chaleur
pour garder le chocolat chaud

Avec la propagation du chocolat à travers toute l’Europe, et sa démocratisation, on commença à voir apparaître des chocolatières dans des matériaux moins nobles comme le cuivre, l’étain, le grès et la faïence. Certaines chocolatières avaient trois pieds surélevés ce qui permettait de placer en dessous une source de chaleur flamme ou braises pour garder le chocolat chaud.

Les limonadiers, établis en corporation professionnelle sous Louis XIV, étaient les anciens cafetiers et propriétaires de bistros. C’était eux qui avaient le monopole de préparer et de vendre différents types de boissons exotiques incluant le chocolat en plus des boissons alcoolisées. Par contre, je doute qu’ils aient eu le temps de laisser leur préparation reposer toute la nuit ou d’utiliser le moulinet pour faire mousser le lait au chocolat. Les chocolatières se sont donc simplifiées et ont perdu leur ouverture dans le couvercle quand ce n’est pas le couvercle lui-même ainsi que leur poignée droite.

Série de chocolatières semblables à la mienne qui n’est donc pas si unique

Alors, le récipient que j’ai reçu est bien, de par sa forme, une chocolatière et elle vient probablement de la région des Pyrénnées. Cependant, elle semble avoir fait l’objet d’une production en série et je doute qu’elle soit typiquement locale. Mais par ces longues et froides soirées d’hiver quoi de plus réconfortant qu’un bon chocolat chaud.

Sources:

Publié par L'abécédaire de mes ancêtres

Bonjour, D'origine française, je vis au Canada depuis plus de 40 ans. Généalogiste amateure, j'essaye de retracer la vie de mes ancêtres. Grâce à l'aide inestimable de parents mais aussi à des photos d'époque et à des articles de journaux ainsi qu'à des documents d'état civil et d'archives, je m'efforce de remonter le temps. Les articles réunis dans ce blogue sont principalement destinés à ma famille mais aussi à toute personne intéressée à l'histoire du quotidien et de gens ordinaires ayant mené une vie supposément sans histoire. Dominique G.

2 commentaires sur « C comme Chocolatière »

  1. Très intéressant, cette histoire de chocolatière que tu as reçu en cadeau. Un chemin de traverse par rapport à tes ancêtres. Est-ce une nouvelle orientation? Bonne suite…

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    1. J’essaie toujours de varier mes sujets. J’aime faire de la recherche, cela m’apprends toujours beaucoup de choses. De plus, maintenant, je vois ma chocolatière comme un objet de famille dont on connaît l’origine et l’histoire. Merci pour le commentaire 🙂

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