I comme l’Instruction publique durant la Grande Guerre

Dans ma famille élargie, il y a eu et il y a encore plusieurs institutrices. Heureusement, aucune d’entre elles n’a eu à exercer pendant la guerre.

Cependant, tout en restant dans l’esprit de la rentrée et à l’occasion de la journée internationale des enseignants, célébrée le 5 octobre dernier, je voulais explorer la réalité des instituteurs et professeurs qui ont dû enseigner de 1914 à 1918 dans les départements du nord et de l’est de la France.

En mars 1917, la ligne de front traverse plusieurs départements du nord de la France

Ces départements, incluant entre autres le Nord, le Pas-de-Calais, l’Aisne, les Ardennes, sont coupés par la ligne de front pendant des mois. Leurs populations ont vu le débarquement de troupes alliées et ont connu l’occupation par les armées ennemies, la destruction et les bombardements et parfois même ont dû évacuer leur maison en catastrophe.

Des villages entiers ont été détruits comme ceux de Monampteuil, de Pargny-Filain ou d’Urcel près du Chemin des Dames dans l’Aisne, région d’origine de mes ancêtres. Dans ces circonstances, quelle a été la réalité quotidienne des enseignants ? Comment se sont-ils organisés ?

Village de l’Aisne complètement détruit et dont les enfants n’ont plus d’école
Extrait du catalogue de l’exposition REVIVRE ! 1918, l’Aisne se reconstruit
des Archives de l’Aisne

Annulation des vacances

Dès le samedi 1er août 1914, alors que tous les clochers sonnaient le tocsin pour annoncer la mobilisation générale, l’administration demandait aux enseignants de rester en poste afin de s’occuper des enfants. On présentait cela comme un sacrifice bien moindre que celui des soldats qui allaient risquer leur vie dans les tranchées. Un parallèle qui allait être repris maintes fois dans les communications de l’administration et autres instances. Daté du 10 août 1914, un télégramme se lit comme suit :

Je vous confirme ma dépêche du 1er août. Les instituteurs qui ne sont pas appelés sous les drapeaux n’hésiteront pas à faire au pays le sacrifice de leurs vacances. Ils resteront à leur poste jusqu’à la fin de la crise ; ils offriront leur concours aux Autorités locales et militaires. Tout citoyen trouvera près d’eux des conseils, tout père de famille du réconfort. Ils auront soin de mettre la population en garde contre les fausses nouvelles lui rappelant que seules les dépêches officielles méritent créance. Ils donneront dans chaque commune l’exemple du sang-froid et du zèle patriotique comme leurs collègues plus jeunes donneront dans chaque régiment l’exemple de l’héroïsme.

Extrait de Une mise de guerre de l’État enseignant ? par Jean-François Condette

Pénurie de personnel

Le premier défi de l’administration en était un d’effectif alors que des milliers d’instituteurs et de professeurs avaient été mobilisés. Pour les remplacer, on avait fait appel aux étudiants des écoles normales des différents départements, aux enseignants récemment retraités ou s’apprêtant à prendre leur retraite ainsi qu’au personnel déplacé et évacué. On n’avait pas hésité non plus à établir des classes mixtes et des demi-journées scolaires, et à demander aux femmes de prendre en charge des classes de garçons.

Début 1915, le ministre de l’Instruction publique soulignait que :

Le Volume, 20 février 1915, p. 15/16

L’Université a donné à la mobilisation 25 000 hommes, dont 21 000 instituteurs et 4 000 professeurs de l’enseignement secondaire et supérieur. Elle compte déjà, sur ce chiffre impressionnant, plus de 3 500 tués ou blessés. Grâce à la bonne volonté de tous, il a suffi de 17 000 suppléants pour remplacer les mobilisés. On a eu recours à l’ajournement de mise en retraite, au rappel de maîtres retraités, et, enfin, on a fait appel à la collaboration des maîtres belges.

Différentes réalités

Au niveau local, la situation et les défis, auxquels ces instituteurs et professeurs devaient faire face, dépendaient souvent de l’évolution des combats et de la zone à laquelle ils étaient affectés. D’une part, il y avait celles ou en dépit de la guerre, la vie suivait un cours plus ou moins normal ; celles avec un fort contingentement de forces alliées ; les zones de combat proches de la ligne de front ; et enfin, les zones contrôlées par l’ennemi.

Alors que partout il fallait composer avec la guerre, si on prend comme exemple la région du Nord-Pas de Calais, la carte ci-bas montre bien comment, d’une ville ou d’un village à l’autre, les conditions pouvaient être très différentes.

Carte extraite de Une mise en guerre de l’État enseignant ? (voir sources)

Les troupes logeant chez les habitants, cela amenait les enfants à côtoyer des soldats venant de différents pays incluant des Australiens, des Écossais, des Canadiens mais aussi des indous, des Africains et des Chinois, leur donnant une nouvelle perspective sur le monde.

Près de la ligne de front, quand elles n’étaient pas détruites, les écoles et les mairies étaient réquisitionnées par les états-majors et pour loger les soldats et les officiers. Les Archives du Pas-de-Calais ont un registre intitulé « L’école pendant la guerre le long du front. Circonscription de Saint-Pol-Arras (1914-1915) » qui regroupe les courriers reçus par les inspecteurs du primaire et qui font état de la situation. Les témoignages recueillis sont éloquents en voici quelques extraits :

« À Pernes-en-Artois, l’instituteur signale, dans une lettre du 28 septembre 1914, l’occupation des classes en septembre, du 10 au 17 septembre puis du 24 au 28. L’institutrice de Conchy-sur-Canche écrit, le 2 novembre 1914, que le 27e régiment des dragons est au repos dans la commune depuis le 27 octobre pour une quinzaine de jours. « [S]a maison a été réquisitionnée » pour servir de cuisine et d’hôtel pour les officiers, précise-t-elle avant d’expliquer : « J’ai essayé de faire classe mardi, mercredi et vendredi de la semaine dernière. J’étais constamment dérangée dans mon service et j’ai dû licencier mes élèves jusqu’à ce que les troupes aient quitté le pays. » 

le village de Margny dans les Ardennes a été envahi dès le début de la guerre et
a dû utiliser des baraquements pour remplacer ses écoles incendiées

La situation évoluant constamment les recteurs et inspecteurs scolaires demandaient régulièrement des mises à jour. Aussi, face aux avancées des troupes allemandes certains professeurs préféraient migrer avec leur famille vers le sud de la France ce à quoi l’administration s’est opposée en parlant de désertion de poste.

Pour ceux qui restaient en poste, la situation continuait à demander une adaptation constante. Les enseignants se retrouvaient souvent dans des locaux de fortune comme des salons, des granges ou des baraquements transformés en salles de classe. D’après le Bulletin de l’enseignement primaire du Pas-de-Calais de juin-juillet 1915, en un an, soit de juin 1914 à juin 1915, le Pas-de-Calais non occupé avait perdu 207 écoles et par le fait même 532 classes.

« Selon l’inspecteur, 60 écoles sont des lieux de cantonnement de troupes, 58 abritent un service de santé militaire, 3 accueillent d’autres services militaires (intendance, etc.) et 3 assurent l’hospitalisation des réfugiés. En outre, 67 sont fermées parce qu’elles sont trop proches de la ligne de front ; 8 autres, pour économiser le personnel. Les élèves sont alors reçus dans des classes proches. Restent 8 établissements pour lesquels les informations sont manquantes. »

Maintien des examens

Malgré les aléas de la guerre, l’administration fait tout en son pouvoir pour maintenir les examens, surtout ceux du certificat d’études primaires et du brevet d’études secondaires.

Les statistiques pour le département du Nord nous révèlent que si les résultats restaient bons, on notait quand même un fléchissement surtout dans les zones très affectées par la guerre. Ainsi, les taux de réussite étaient de 72 à 74% pour les garçons et de 75 à 82% pour les filles alors que, « En règle générale, avant-guerre, le taux de réussite tournait autour de 82 à 90 % pour les candidats « présentés » par les enseignants au certificat d’études primaires. »

Pas si mal, vu les circonstances !

Sources

  • Le Volume, 20 février 1915, p. 15/16
  • Une mise en guerre de l’État enseignant ? Les structures scolaires de la zone non occupée des départements du Nord et du Pas-de-Calais (1914-1918) par Jean-François Condette
  • Bulletin de l’enseignement primaire du Pas-de-Calais, juin-juillet 1915, p. 88-89.
  • Blog : Les Petites Mains, histoire de mode enfantine : il y a cent ans, la guerre
  • Catalogue de l’exposition REVIVRE ! 1918, l’Aisne se reconstruit par les Archives de l’Aisne

Publié par L'abécédaire de mes ancêtres

Bonjour, D'origine française, je vis au Canada depuis plus de 40 ans. Généalogiste amateure, j'essaye de retracer la vie de mes ancêtres. Grâce à l'aide inestimable de parents mais aussi à des photos d'époque et à des articles de journaux ainsi qu'à des documents d'état civil et d'archives, je m'efforce de remonter le temps. Les articles réunis dans ce blogue sont principalement destinés à ma famille mais aussi à toute personne intéressée à l'histoire du quotidien et de gens ordinaires ayant mené une vie supposément sans histoire. Dominique G.

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