Le #généathème proposé par Geneatech pour septembre 2023 concerne la rentrée. En fouillant parmi mes photos de famille, j’ai retrouvé des documents datant de la Première Guerre mondiale qui ont été mon point de départ.
De nos jours, septembre va de pair avec rentrée des classes. Mais, il n’en a pas toujours été ainsi. Au début du 20e siècle, la France était encore un pays essentiellement rural et à part quelques grandes villes, la majorité de la population vivait au rythme de la campagne. La rentrée avait donc lieu début octobre et l’année scolaire se finissait avec la remise des prix en juillet ou même à la rentrée suivante pour certains.
Une rentrée hors de l’ordinaire
Depuis l’attentat de Sarajevo le 28 juin 1914, les nouvelles n’avaient fait que s’aggraver. Et avec la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France dans les premières journées d’août, la situation s’était sérieusement dégradée. Si bien qu’en cette rentrée de 1914, il manquait cruellement d’enseignants et parfois même d’élèves.
« Les petits et les moyens sont rentrés au jour fixé; mais les grands sont restés chez eux. Ils ont déserté le cours supérieur et le cours complémentaire, si bien que l’école se trouve, pour ainsi dire, décapitée. J’ajoute que jamais absences n’ont été mieux justifiées. Nous sommes dans un pays agricole. La mobilisation a fait disparaître en quelques jours toute la population valide et cela en pleine moisson. Pour la première fois depuis un siècle, depuis les mémorables campagnes de 1813 et 1814, on a vu les femmes remplacer les hommes dans les travaux des champs. En ce moment elles arrachent les pommes de terre. Après viendra la récolte des fruits, la fabrication du cidre, la fumure, l’ensemencement. Pour tout cela on a besoin du travail des petits gars, de ceux du moins qui ont les bras solides et sont déjà initiés aux travaux des champs. Voilà pourquoi la grande classe risque de n’être guère fréquentée cet hiver.«
L’article se poursuit en comparant la situation de 1914 à celle de la guerre de 1870 :
Il n’en fut pas de même en 1870 et pour cause. On vivait sous le régime de l’engagement décennal. Tous les membres de l’enseignement public se trouvaient exemptés du service militaire. Seuls, les engagés volontaires restèrent sous les drapeaux jusqu’à la conclusion de la paix. Mais les instituteurs, en majorité, n’avaient pas quitté leurs postes et la rentrée se fit dans des conditions normales.
L’école au service de la patrie
De plus, selon les besoins, plusieurs écoles avaient été réquisitionnées et transformées en ambulances, infirmeries et hôpitaux pour accueillir les blessés.
La rentrée des classes « L’école supérieure de commerce et d’industrie étant actuellement occupée par l’hôpital n. 101, la chambre de commerce de Paris a décidé que provisoirement les cours du 1er cycle (1re, 2e et 3e années) seraient donnés dans les locaux de l’école commerciale (avenue Trudaine, 39). La rentrée est fixée au vendredi 2 octobre, à huit heures du matin.«
En février 2020, au moment d’écrire mon article P comme Cher Petit Père sur les lettres que mon grand-père paternel recevait de ses enfants, j’avais été frappée par les dessins guerriers et patriotiques de mon oncle Roger alors âgé de huit ou neuf ans. Alors que sa soeur Gilberte dessinait des drapeaux français et belge, Roger illustrait ses lettres de soldats en uniforme et de canons. Ces pièces de correspondance semblaient démontrer une bonne connaissance des différents symboles (comme les drapeaux alliés) et de la situation nationale pour de si jeunes enfants. Mais j’imagine que ceux-ci étaient exposés aux comptes-rendus radiophoniques ainsi qu’aux commentaires et conversations des adultes.
Il faut dire que l’école, et à travers elle le gouvernement, se faisait aussi un devoir de rappeler à tous les écoliers que le pays était en guerre. Ainsi fin septembre 1914, alors que la guerre sévissait depuis deux mois et qu’on dénombrait déjà de nombreuses victimes, le ministre de l’Éducation demandait à tous les instituteurs et professeurs de rappeler les sacrifices de la France et de ses soldats. Cette demande fut d’ailleurs relayée par la plupart des journaux.
« La première parole du maître haussera les coeurs vers la patrie […] Je désire que le jour de la rentrée, dans chaque classe, la première parole du maître aux élèves hausse le cœur vers la patrie, et que sa première leçon honore la lutte sacrée où nos armées sont engagées. La parole du maître dans la classe évoquera d’abord le noble souvenir de ces morts pour exalter leur exemple, en graver la trace dans la mémoire des enfants. Puis, à grands traits, sobrement, clairement, elle dira les causes de la guerre, l’agression sans excuse qui l’a déchaînée[…] De cette première heure de classe, il faut que le viril souvenir reste à jamais empreint dans l’esprit de l’élève, citoyen de demain.»
D’ailleurs, certains n’hésitaient pas à en rajouter comme en témoigne ce commentaire :
« Nous saluons cette circulaire avec d’autant plus de plaisir qu’elle vient confirmer absolument le programme que nous tracions aux maîtres dans notre numéro de rentrée. Dans nos écoles, ce ne sera pas seulement la première heure de la rentrée qui évoquera la joie de nos victoires et la « douleur fière de nos deuils ». Chaque jour, pendant quelques instants, l’âme des enfants s’élèvera pieusement vers ceux qui glorifient la patrie en mourant pour elle. »
Bien sûr, cet effort d’éducation sur la dure réalité de la guerre s’est poursuivi d’année en année tout au long du conflit et a largement dépassé la journée de la rentrée.
J’ai retrouvé parmi les affaires de ma famille du côté paternel deux bulletins qui datent de 1916 et 1917 de Madeleine Bouillot. Madeleine, que j’ai connue, était la belle-soeur de ma tante Gilberte. Née en décembre 1903, elle avait une dizaine d’années alors qu’elle fréquentait l’école Sainte-Marthe à Neuilly-sur-Seine. Une école religieuse de filles comme son nom l’indique et ce qui explique, sans doute, le fait que l’école n’ait pas manqué de professeurs.
Sur le premier bulletin, on voit une quinzaine de soldats s’inclinant devant un hôtel de fortune installé sur des caisses recouvertes d’un drap et un prêtre tenant une croix. Autour d’eux, des sacs de sable pour se protéger des tirs ennemis, des talus qui fument encore, un arbre décharné et une campagne désolée.
L’année suivante le bulletin est plus sobre mais réfère encore à la Grande Guerre et au drapeau national.
Sources:
- Une du journal satirique La Baïonnette numéro spécial « Nos gosses » 1915, Gallica, BnF
- Manuel général de l’instruction primaire du 24 octobre 1914 – Retronews – BnF
- Journal le Temps du 25 septembre 1914 – Retronews – BnF
- Le Volume du 3 octobre 1914 – Retronews – BnF
Merci pour cet excellent article. C’est toujours passionnant de vous lire. Amicalement,
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Merci beaucoup Sylvie pour votre commentaire et de continuer à me suivre. Bien amicalement. D
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Very timely with back to school this year! I think we forget sometimes about the impact of war on the every day lives of the children.
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Difficult to decide what to say and how to say it. A difficult balance between informing children on what is going on and protecting them from unecessary stress.
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Tu es bien chanceuse de posséder plusieurs documents d’archives de ta famille. Les dessins d’enfant sont très mignons. Belles recherches d’illustrations.
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Merci, je suis surtout chanceuse que ma tante et ses enfants aient conservé tous ces documents et photos et me les aient confiés.
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