I comme Inquiétudes d’un soldat – guerre 39-45

Camp de Meucon – Batiment des officiers

Pour le mois de mai 2023, Upro-g (l’Union professionnelle des généalogistes) nous propose de faire le portrait d’un combattant de la Deuxième guerre mondiale.

J’ai déjà parlé abondamment de mon père qui était dans les blindés dans le 507e régiment de chars de combat sous les ordres du lieutenant-colonel Charles de Gaulle avant d’être fait prisonnier et envoyé dans un camp de travail en Allemagne.

Il se trouve que ma famille a récemment retrouvé de la correspondance envoyée par mon père à sa soeur. Il est alors à Meucon au dépôt de chars où il a pour tache la réparation mécanique et la remise en état des chars. Le camp de Meucon comprend plusieurs centaines d’hommes attachés à plusieurs compagnies de blindés. C’est aussi un camp d’entrainement où on forme les recrues au maniement des chars.

Je partage donc cette lettre adressée par mon père à sa soeur Madame Bouillot aux soins de Madame Marguerite Bard chez Madame Albert Lezouzouzec à Jard-sur-Mer. Curieusement, l’adresse ne comprend pas de numéro ni de rue comme si Jard-sur-Mer se résumait à l’époque à quelques maisons. J’ignore quel était l’arrangement, mais je n’ai retrouvé la trace ni de l’une, ni de l’autre de ces deux femmes.

Meucon ce jeudi 13

Ma petite soeur

Je viens de recevoir ton adresse par maman et je suis bien content de ne plus te savoir à la Roche Guyon car maintenant ce ne doit plus être le lieu révé. J’espere que ton voyage ne s’est pas trop mal effectué et que les petites n’ont pas trop souffertes. (sic)

Est-ce que maman t’as fait part de ses projets et si elle comptait partir car en ce moment d’après la radio la situation est critique à Paris. Pour moi je

Lettre de mon père à sa soeur du jeudi 13 juin 1940 –
Collection de famille

continue ma petite vie tranquille. J’ai écrit à Mimile mais je n’ai pas encore eu de réponse. J’espère qu’il est encore à Royan. Affectueusement baisers à tous André P.S. Embrasse surtout bien Geneviève pour moi ainsi que les deux bébés. C’est terrible pour ces pauvres choux.

A Guillaumant – Dépot de Chars N0 507 31e Compagnie de Passage Meucon Morbihan

Cette lettre me permet de faire le point non seulement sur la situation de mon père mais aussi sur celle des différents membres de sa famille proche.

Ce jeudi 13, au cours duquel il écrit cette lettre, est le 13 du mois de juin 1940. Il a raison de se demander si sa mère compte quitter Paris. Cela faisait alors des semaines que les routes étaient pleines de réfugiés venus de Belgique, du Luxembourg et des départements du nord de la France. Il s’agissait surtout de femmes, d’enfants et de personnes agées fuyant vers l’ouest devant l’avancée des troupes allemandes. Depuis le 3 juin, c’était au tour des Parisiens, qui chaque jour par milliers prenaient la route de l’exode. En tout, on estime que deux millions de personnes ont quitté Paris et que près de huit millions ont été déplacées.

Les horloges à l’heure allemande, entrefilet paru dans le journal Le Phare,
4 août 1940 Archives départementales du Morbihan, 2 W 15597

Le 14 juin, les Allemands entraient dans Paris sans rencontrer de résistance et commençaient à prendre possession de la ville en défilant sur les Champs-Élisées, en réquisitionnant les hôtels, en installant des affiches en Allemand sur tous les édifices publics et en instaurant l’heure allemande. Une pratique qui allait bientôt être appliquée à travers toute la France.

Mon père fait bien de se réjouir du départ de sa soeur pour Jard-sur-Mer situé en Vendée à quelques kilomètres au sud des Sables d’Olone. Le voyage a probablement été très pénible avec trois jeunes enfants de sept ans, trois ans et quelques mois. Au moins, cela semblait bien loin de l’avancée allemande et beaucoup plus sécuritaire que la Roche Guyon situé à seulement quelques kilomètres de Paris, dans le Val-de-Marne.

Enfin, j’imagine que le « Mimile » dont il parle est son beau-frère Émile Bouillot, le mari de sa soeur justement. De la classe de 1925, celui-ci a été appelé à servir son pays malgré ses trois enfants.

Mon père semble dire que tout va relativement bien. Il évoque même sa « petite vie tranquille » qui suit son cours. J’en doute fortement, mais il se sent probablement impuissant et ses pensées vont vers sa famille.

Car cela faisait des semaines que les nouvelles étaient mauvaises à la radio comme ailleurs. La Belgique et le Luxembourg avaient été envahies en quelques jours, les alliés s’étaient fait prendre à Dunkerque et malgré toute la préparation, les défenses françaises attaquées en leurs points les plus faibles avaient du mal à tenir et à repousser l’envahisseur. Enfin depuis deux jours soit depuis le 11 juin, le gouvernement français avait quitté Paris et s’était replié sur Bordeaux.

Jar-sur-Mer Cartes postales – Geneanet

Il est remarquable de constater que presque tous les membres de la famille étaient déjà sur la côte atlantique à environ 250 kilomètres les uns des autres. J’ignore combien de temps sa soeur et ses trois petites filles ont pu rester sur la côte. Mais, Jar-sur-Mer a vite fait partie de la zone occupée par les Allemands et ceux-ci ont eu vite fait d’interdire l’accès aux côtes à toute personne n’y ayant pas sa résidence principale.

Depuis quelques semaines, mon père voyait sûrement le flot de réfugiés grossir chaque jour. Dans les quelques jours qui allaient suivre, des milliers de réfugiés allaient traverser Vannes et chercher refuge vers la Bretagne tandis que d’autres allaient opter pour le sud de la France.

« Le passage des réfugiés rue du Mené et rue Hoche, contribue à démoraliser une garnison pourtant bien tenue en main par le général Le Bleu qui se prépare au combat au delà de la zone « ville ouverte », cercle de six km autour de Vannes. » … « L’entrée des Allemands dans Vannes se fait dans le calme et la crainte. L’ennemi occupe un certain nombre de lieux publics ou privés, réquisitionne, expulse pour loger ses services et ses troupes. Les soldats français, capturés par milliers dans les casernes, sont regroupés à Meucon et la Bourdonnaye. Bien peu tentent de s’enfuir, persuadés d’être bientôt libérés. » https://bretagne-39-45.forums-actifs.com/t1784-505-507-vannes-metz

Le moral des soldats et de la population allait en prendre un coup et le 17 juin Pétain demanderait l’armistice qui serait signé avec l’Allemagne le 22 juin et avec l’Italie le 24 juin.

Relève de la garde dans un tunel de la ligne Marigot en 1939 -Wikiperia

Dans l’est, comme ailleurs, les troupes se sont battues jusqu’au 25 juin (jour d’entrée en vigueur de l’armistice) mais l’armée française, supposée être une des meilleures au monde, est défaite. La ligne Maginot, tant vantée et dans laquelle on a tant investi, conçue en fonction des leçons de la guerre de 14-18 et devant protéger le territoire français d’une invasion allemande, s’est révélée inefficace.

Pour mon père viendront ensuite d’autres considérations comme le fait d’être fait prisonnier, d’ignorer ce qui l’attend et d’essayer de garder espoir pour lui et les siens.

Sources :

Publié par L'abécédaire de mes ancêtres

Bonjour, D'origine française, je vis au Canada depuis plus de 40 ans. Généalogiste amateure, j'essaye de retracer la vie de mes ancêtres. Grâce à l'aide inestimable de parents mais aussi à des photos d'époque et à des articles de journaux ainsi qu'à des documents d'état civil et d'archives, je m'efforce de remonter le temps. Les articles réunis dans ce blogue sont principalement destinés à ma famille mais aussi à toute personne intéressée à l'histoire du quotidien et de gens ordinaires ayant mené une vie supposément sans histoire. Dominique G.

3 commentaires sur « I comme Inquiétudes d’un soldat – guerre 39-45 »

Laisser un commentaire