J comme Journalier

Le hasard fait parfois bien les choses. Alors que j’avais commencé à travailler sur le métier de journalier voici que Geneatheme nous propose pour le mois de mai d’écrire sur un métier rare ou disparu. Mais celui de journalier a-t-il vraiment disparu ou a-t-il simplement changé de nom?

Ainsi, nombre de mes ancêtres vivant en milieu rural se disaient journaliers ou encore manoeuvriers. Les deux termes étaient souvent interchangeables quand on ne disait pas « homme de peine ».

J’ai cependant relevé plus souvent le terme pour les femmes que les hommes. Les femmes s’occupaient principalement de leurs nombreux enfants et de leur foyer mais aidaient aux champs durant les récoltes ou les semailles. Les enfants plus âgés étaient aussi engagés comme journaliers durant ces périodes là.

Le cercle généalogique du pays de Caux, en Seine-Maritime, publiait récemment un article sur le sujet et nous apprenait que « Le mot français journalier vient du latin médiéval « jornalerius » et peut se rattacher à deux sens : le journal, superficie agraire, ou la juchère, la journée de travail. » et aussi que le journalier « était rémunéré à la journée appelé aussi jour ou journal. » On y décrit le journalier comme :

« un simple manœuvre ou manouvrier qui louait sa force de travail à temps, à la journée ou à la saison. C’était un travailleur temporaire, non qualifié, situé en bas de l’échelle sociale (juste au dessus des vagabonds et des errants).« 

Vivant quasiment au jour le jour et au gré des saisons, ils n’avaient pas de travail stable et donc pas de revenu fixe. Ils étaient souvent payés des salaires de misère en partie en argent mais surtout en nature, particulièrement pendant la période des récoltes. C’était le temps de faire des conserves et des réserves pour les mois d’hiver quand le travail et l’occasion de louer leurs bras se feraient beaucoup plus rares.

La plupart devaient répondre à leurs besoins quotidiens avec le produit de leur jardin et l’élevage de quelques animaux : poules, lapins et cochons. D’autres, surtout en régions reculées et fortement boisées, avaient recours au braconnage. Il était donc important de saisir l’occasion et la manne quand elles passaient.

Souvent analphabètes, ils leur arrivait d’ignorer leur âge exact ce qui explique sans doute les erreurs fréquentes que l’on retrouve sur les actes de décès et autres documents officiels. Le déclarant donnant alors un âge approximatif.

« Un journalier ne connaissait pas forcément son âge, car il n’avait aucun souvenir de son année de naissance. C’était un homme de peine qui travaillait de ses bras. Usé par le travail, il se reconnaissait à ses mains rugueuses et abîmées par les tâches diverses. »

Les travaux pour lesquels ils étaient engagés pouvaient être aussi divers que les semailles et le battage des céréales que la réparation d’un mur ou la démolition d’une vieille grange. Usés par le dur labeur, beaucoup étaient prématurément vieillis et plusieurs mouraient relativement jeunes.

Curieusement quand j’analyse l’information dont je dispose au sujet du métier de mes ancêtres, je constate que ce sont surtout les femmes qui sont dites journalières alors que les hommes sont manoeuvriers.

Ainsi parmi mes ancêtres paternels et maternels ainsi que leurs descendants, je retiens Marguerite Guillaument dont un extrait de l’acte de décès à l’hospice d’Orléans le 30 juillet 1811 se lit comme suit :

Meung-sur-Loire décès : registre d’état civil (1808-1812)
4 NUM 203/12 p. 180/233 Archives du Loiret

Marguerite Guillaument, journalière, âgée de dix-sept ans ; née à Meung en ce Département ; fille de Charles Guillaument et d’Anne Gervais, demeurant audit Meung lesquels comparans m’ont déclaré que ladite Marguerite Guillaument est morte hier, à sept heures avant midi…

Du côté des hommes, je nommerais Claude Finot, mon ancêtre de huitième génération, né en 1710 au Mont-Saint-Sulpice dans l’Yonne, est dit manoeuvrier en 1767 au mariage de son fils ainé Jean Baptiste.

4 E 269/ E 8 – Mont-Saint-Sulpice : BMS ( 1760-1779 ) – 5 Mi 605/ 9 – 1760-1779
p. 124/288 .Archives départementales de l’Yonne

Mariage de Jean Baptiste Finot avec Jeanne Gendot Le treize janvier de l’année 1767 Jean Baptiste Finot, fils majeur de Claude Finot, manoeuvrier et de défunte Anne Moreau pour luy d’une part et Jeanne Gendot fille majeure de feu Edmé Gendot et de Jeanne Maupetit, pour elle d’autre part ; tous deux de cette paroisse…

Alors qu’il est très difficile pour les journaliers de s’élever socialement par manque de ressources, quelques années plus tard son fils se dira vigneron. L’un d’entre eux a-t-il hérité de terres et de vignes ? Il est aussi envisageable, que comme c’est un autre métier saisonnier, celui-ci loue également ses bras au moment des récoltes ou des semailles sans considérer cela comme sa principale occupation.

Similairement, parmi les Leclerc, qui vivent à Bouconville-Vauclair dans l’Aisne, certains se disent aussi manoeuvriers. Mais je retiens l’exemple de Nicolas Maurois qui tout en se disant manoeuvrier semble avoir quand même eu une formation et développé des compétences qui dépassaient largement celles d’un journalier.

Ainsi, en avril 1701, Jeanne Leclerc épouse Nicolas Maurois qui plus tard se dira manoeuvrier mais qui est décrit lors de son mariage comme « simple artisan sans charge ni profession« . Probablement en opposition à d’autres membres de la communauté ou de la famille qui sont dit « Maître potier de terre » ou encore « Maître sabotier« . Il a alors environ trente ans et a probablement fini plusieurs années d’un apprentissage commencé durant son adolescence. En cette époque féodale, les charges n’ont pas encore été abolies et les jurances reignent en maitres sur les différentes professions.

Registre d’état civil de Bouconville 5Mi0333 1668-1730
vue 156/272 – Archives de l’Aisne

Samedy dernier jour d’Avril mil sept cent un Nicolas Maurois simple artisan ?? sans charge ni profession agé d’environ trente ans fils de défunt Quentin Maurois et de Marie Decry d’une part et de Jeanne Le Clerc agé d’environ vingt et un ans de même condition fille de défunt Anthoine Le Clerc et Margueritte Norman d’autre part et tous de cette paroisse de Bouconville furent solennellement marier en cette église par devant nous prètre et curé d’Aranty Playart soussigné après avoir observée touttes les formalitez éclésiastiques et civiles ce ne nous ayant trouvé dans aucun empechement de le faire en présence de Matthieu Decry, Christophe Maurois frère de l’époux, Jean Le Clerc frère de l’épouse, François Barbaray son cousin et plusieurs autres qui ont signer.

Plus tard, soit au 19e siècle, je retrouve d’autres journaliers dans mon arbre. Mais ceux-là ont un métier et se louent à la journée ou au projet sur des chantiers. Certains sont couvreurs, d’autres charpentiers. Tout au long des actes qui ont témoigné des événements importants de leur vie, ils utilisent les deux appellations de façon interchangeable et probablement en fonction de la fortune du moment.

De plus, plusieurs se déclarent journalier alors qu’ils sont encore très jeunes avant de trouver un emploi plus stable. Ainsi mon ancêtre de sixième génération Jean-Baptiste Griffard, qui a vécu de 1790 à 1854 à Épinoy dans le Pas-de-Calais, se disait parfois journalier, parfois ouvrier avant de se dire cordier.

De nos jours, si l’appellation est beaucoup moins courante, à part dans certains secteurs comme le montre l’affiche ci-contre, le principe de travail ou d’embauche à court terme existe toujours. Ainsi, on parle souvent de travailleurs saisonniers pour les ouvriers agricoles. Au Québec, on réfère à des « jobines » pour de petits travaux souvent non déclarés et demandant peu de qualifications.

Sources :

  • Cercle généalogique du pays de Caux (Seine maritime)
  • Archives du Loiret Meung-sur-Loire décès : registre d’état civil (1808-1812)
  • Archives de l’Aisne Registre d’état civil de Bouconville 5Mi0333 1668-1730
  • Archives départementales de l’Yonne – Mont-Saint-Sulpice : BMS ( 1760-1779 ) – 5 Mi 605/ 9

Publié par L'abécédaire de mes ancêtres

Bonjour, D'origine française, je vis au Canada depuis plus de 40 ans. Généalogiste amateure, j'essaye de retracer la vie de mes ancêtres. Grâce à l'aide inestimable de parents mais aussi à des photos d'époque et à des articles de journaux ainsi qu'à des documents d'état civil et d'archives, je m'efforce de remonter le temps. Les articles réunis dans ce blogue sont principalement destinés à ma famille mais aussi à toute personne intéressée à l'histoire du quotidien et de gens ordinaires ayant mené une vie supposément sans histoire. Dominique G.

4 commentaires sur « J comme Journalier »

Laisser un commentaire