K comme Kommandos de travail

Mes articles sur la deuxième guerre mondiale ont suscité beaucoup d’intérêt de la part de plusieurs lecteurs et lectrices et même des discussions parmi les « anciens » de ma famille. Entre autres, deux cousines de plus de 80 ans qui ont connu cette époque-là, ont assisté au retour de mon père André Guillaumant et qui peuvent encore témoigner de ce qu’elles ont vu et entendu. Ainsi, j’ai reçu récemment des témoignages qui m’ont amenée à explorer de nouvelles pistes. Mon cousin Louis m’a envoyé le 15 octobre dernier cette information qui était nouvelle pour moi :

« … Il était à DESSAU-ROSSLAU sur l’ELBE dans le Land Saxe-Anhalt. Les américains bombardent la ville qui est un centre de production aéronautique pour le compte de la Luftwaffe. Ils occupent la ville le 24/04/1945. André est métallurgiste et travaille comme prisonnier de guerre dans l’usine JUNKERS. »

Cela allait m’amener à revisiter la question complexe des kommandos qu’on a dénombré par milliers et qui ont été extrêmement divers tant dans les tâches et les types de travaux demandés que dans leur organisation et les conditions de vie qui y étaient associées.

Le plus grand nombre des prisonniers a été envoyé en kommandos. Certains grouperont plusieurs centaines d’hommes, logés dans des baraquements préfabriqués ou dans des hangars, ne disposant que d’un maigre éclairage, d’un chauffage incertain et de quelques commodités. Ils sont, dans les premiers mois, strictement gardés. La discipline y est rigoureusement militaire, la nourriture monotone et déficiente. Chaque jour, sous la conduite de soldats ou de civils portant brassard, des équipes, dont la composition tend à devenir régulière, se rendent au travail dans les usines ou les ateliers voisins. Dans d’autres kommandos, l’effectif se réduit à quelques prisonniers, surveillés bien vite avec désinvolture par un seul soldat, enfermés, le soir, dans une écurie, une soupente, le bâtiment annexe d’une ferme, une pièce isolée, aux fenêtres clouées, garnies de barbelés. A partir de 1942, des prisonniers logeront chez leurs employeurs, tel avec tous les privilèges possibles, tel autre dans des conditions pénibles. La typologie des kommandos est d’une grande complexité. http://www.histoire-en-questions.fr/vichy%20et%20occupation/prisonniers/kommandos.html

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Carte des stalags XI A et B
Dessau y est représenté au sud du Stalag XI A

Vérification faite, l’usine Junkers était bien située à Dessau à environ 40 kilomètres au sud du Stalag XI A qui était le Stalag le plus proche. Vu la distance et la dizaine d’heures de travail qui était exigée chaque jour, les prisonniers devaient vivre sur place. De plus, il semble que des prisonniers venaient également d’autres camps dont certains ont acquis une réputation bien pire que le Stalag XI A. Ainsi, l’Association Française Buchenwald Dora et Kommandos et le site Mémoires de guerre confirment qu’entre les années 1944 et 1945, il y a eu plusieurs kommandos de travail à Dessau et à l’usine Junkers dont deux au moins en provenance du camp de Buchenwald.

Dessau (Des) Kommando du KL Buchenwald
Deux Kommandos sont installés dans cette ville. Le premier est ouvert fin juillet 1944 dans les usines d’avions « Junkers und Motorwerke AG» et « Flugzeug Strammwerk Dessau ». Il est fermé en novembre 1944. Le second Kommando est créé le 26 octobre 1944 au sein de l’usine de wagons DWF. En janvier, il compte déjà près de 350 détenus. Après les bombardements de la ville du début du mois de mars 1945, les détenus doivent déblayer les décombres. Le Kommando est évacué le 11 avril 1945 par péniche vers les Sudètes.
http://memoiredeguerre.free.fr/lieux-dep/lieux-deport.htm

Ouverture du Kommando de Dessau 1: 25 juillet 1944; Fermeture : Novembre 1944; Effectifs : 50 hommes; Activités : Travail au sein des usines d’avions Junker und Motorwerke AG, et de l’usine Flugzeug Strammwerg Dessau. Ouverture du Kommando de Desau II : 26 octobre 1944 Évacuation : 11 avril 1945 Activités : Travail au sein de l’usine de wagons DWF (Dessauer Wagon Fabrik); Le kommando qui travaillait chez JUNKERS fonctionna du 23 juillet jusqu’au mois de novembre 1944. Dans la nuit du 7 au 8 mars, la ville de Dessau fut lourdement bombardée et quasiment détruite, à l’exception des baraquements des déportés du kommando DWF. Leur nouveau travail fut donc de déblayer la ville de ses décombres. Le travail en usine ne put jamais reprendre. La ville de Dessau et donc ses kommandos furent libérés par les Américains entre le 20 et le 22 avril 1945. https://asso-buchenwald-dora.com/le-kommando-de-dessau/

Vue aérienne des terrains de la société Junkers en 1935 https://www.forgottenairfields.com/airfield-dessau-385.html

Junkers est une société métallurgique allemande créée en 1895 par Hugo Junkers qui a construit en 1915 le premier avion entièrement en métal. Junkers a également une filiale Junkers Motorenwerke (Jumo) qui construit des moteurs d’avions. Vers 1923, Junkers qui connait des problèmes financiers vend la compagnie d’aviation au gouvernement allemand alors que Jumo devient une compagnie autonome.

Usine d’assemblage de moteurs Junkers https://www.pinterest.co.uk/pin/707698528918567730/

Bien sûr, durant la seconde guerre mondiale les deux entreprises faisaient partie de l’effort de guerre allemand. Alors que les entreprises Junkers ont déjà employé 38,000 personnes, j’ignore combien y travaillaient durant la guerre et quelle était la composition de la main d’oeuvre que côtoyait mon père. Les superviseurs étaient probablement allemands mais tous les travailleurs étrangers étaient-ils des prisonniers de guerre comme mon père ou encore des étrangers venant des territoires occupés et réquisitionnés sous le Service du Travail Obligatoire (STO) ? Employait-on aussi des ouvriers allemands trop âgés pour aller au front et des ouvrières allemandes ? De plus, j’ignore combien de temps il y a travaillé, son rôle et quelles étaient ses conditions de travail.

Ateliers Junkers à Dessau en 1938 https://www.forgottenairfields.com/airfield-dessau-385.html

Comme je l’ai mentionné, de tous les kommandos auxquels mon père a été affecté durant ses cinq ans de détention en Allemagne, celui à la ferme est celui qu’il avait préféré probablement car il avait de meilleures conditions de détention. Il y mangeait mieux, passait du temps à l’extérieur et retrouvait un environnement familial en côtoyant une famille allemande qui devait grandement lui manquer. En revanche, du point de vue de l’utilisation de ses compétences et des défis professionnels, je pense que les ateliers Junkers ont dû le convaincre de poursuivre dans le domaine car plusieurs années après son retour en France, il va être embauché par la compagnie métallurgique Rateau où il passera l’essentiel de sa vie professionnelle.

Mais revenons à ces bombardements qui ont tant impressionné mon père. Mon cousin Louis m’en parlait justement dans son courriel :

« Souvenir : il louait avec notre mère à Moisson une petite maison où il passait ses vacances avec nous. Nous étions dans la chambre. Un orage éclate. Ton père me prend dans ses bras, et prend Françoise et Michèle et il nous serre tous les trois dans ses bras. Michèle me dit, je le sentais trembler, très étonnée car ce n’était qu’un orage. C’est beaucoup plus tard que j’ai compris que des souvenirs de bombardements l’avaient envahi. Il y avait eu à Dessau un bombardement avec des bombes au phosphore et lorsqu’ils étaient sortis de l’abri où ils étaient, ils ont vu les gens en flammes courir dans les rues. Cela l’avait traumatisé et c’est vraiment le seul évènement dont il nous parlait.« 

Photo de repérage prise en 1944 IFA désigne les ateliers aéronautiques et Jumo l’usine de moteurs https://www.forgottenairfields.com/airfield-dessau-385.html

En 1944 et ce jusqu’à la victoire au printemps 1945, les bombardements alliés sur des cibles stratégiques comme des usines d’équipement et d’armement allemands s’étaient intensifiés. Dessau et ses installations stratégiques faisaient l’objet de repérage puis de bombardements même si on savait que des prisonniers de guerre y travaillaient. Ainsi en août 1944, la ville a été bombardée et même si les dégâts matériels rapportés par les manufactures sont mineurs, les hangars beaucoup plus vulnérables et les avions qu’ils abritent ont été détruits. Il y en a probablement eu plusieurs autres bombardements comme celui de début mars 1945 mentionné précédemment. Chacun générant un traumatisme engendré par l’angoisse et la peur de ne pas en sortir vivant surtout si sous leurs yeux des gens étaient transformés en torches vivantes. Quelle façon atroce de mourir !

Même si ça a dû le hanter pendant bien des années, je ne me souviens pas avoir déjà vu mon père trembler durant un orage. D’habitude, on se mettait à la fenêtre pour voir les éclairs déchirer le ciel, je ne me souviens pas s’il nous rejoignait mais il nous laissait faire. Par contre, je comprends mieux son intérêt pour le domaine de l’aviation. Il nous emmenait souvent au Salon international de l’aéronautique et de l’espace qui se tenait chaque année au mois de juin à l’aéroport du Bourget.


Publié par L'abécédaire de mes ancêtres

Bonjour, D'origine française, je vis au Canada depuis plus de 40 ans. Généalogiste amateure, j'essaye de retracer la vie de mes ancêtres. Grâce à l'aide inestimable de parents mais aussi à des photos d'époque et à des articles de journaux ainsi qu'à des documents d'état civil et d'archives, je m'efforce de remonter le temps. Les articles réunis dans ce blogue sont principalement destinés à ma famille mais aussi à toute personne intéressée à l'histoire du quotidien et de gens ordinaires ayant mené une vie supposément sans histoire. Dominique G.

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