X comme DeuXième Guerre Mondiale : 507e Régiment de Chars de Combat (RCC)

colonne de chars français, 1939-40

Dans les années 60, bien que nous ayons été en paix depuis 15 ou 20 ans, la guerre et ses ravages étaient encore bien présents dans la société française. Non seulement la France commençait tout juste à dire adieu à son passé colonialiste mais c’était la période de la guerre froide et la menace d’une guerre atomique était brandie régulièrement. De plus, les programmes télévisuels et les films revenaient régulièrement sur les horreurs de la Deuxième Guerre mondiale.

photo de mon père quelques années après la guerre

Pourtant mon père, André Guillaumant, gardait le silence et refusait le plus souvent de parler de son expérience de soldat en période de tensions et de guerre ou encore de sa vie de prisonnier dans un camp en Allemagne. Ainsi, j’ai grandi avec l’idée qu’il y avait perdu ou sacrifié dix ans de sa vie. Né en 1915, je pensais qu’il avait été appelé pour faire son service militaire de 1935 à 1936 ou 37 pour être rappelé peu de temps après et n’en ressortir qu’après sa libération en 1945. Comme à la télévision on nous parlait surtout de camps de concentration, je pensais que c’était là qu’il avait passé plusieurs années après avoir été fait prisonnier.

Or si sa fiche militaire, propose une chronologie un peu différente, elle m’a permis de vérifier et confirmer plusieurs de mes suppositions. Ainsi, on y mentionne qu’il est soutien de famille par décision du Conseil départemental de la Seine du 20 avril 1937. À l’époque, étant le plus jeune d’une fratrie de trois enfants, André est le seul à vivre encore avec sa mère, sa sœur et son frère s’étant mariés plusieurs années plus tôt.

Registre militaire d’André Guillaumant- Archives départementales de Paris

Le 19 octobre 1936, soit à l’âge de 21 ans, il est incorporé au 507e régiment de chars et nommé première classe le 8 novembre 1937. Son régiment est stationné à Metz à plus de 330 km de Paris. Il passe dans la disponibilité deux ans après son incorporation soit le 15 octobre 1938 après avoir accompli une journée de manœuvres.

Le colonel de Gaulle devant son char D2

Alors que les tensions montent et qu’un conflit avec l’Allemagne semble de plus en plus probable, l’état major français commence à rappeler les hommes en commençant par ceux libérés le plus récemment. André sera convoqué le 20 mars 1939 en application du décret-loi du même jour relatif au maintien temporaire d’hommes libérables sous les drapeaux et concernant le rappel des réservistes. Il est nommé Caporal quatre mois plus tard, le 1er août 1939. Le 507e régiment de chars est alors sous le commandement du colonel Charles de Gaulle. Ça non plus mon père n’en a jamais parlé, en tout cas pas à ses enfants. Et ce alors que dans les années 60, tout le monde sait que de Gaulle est le président de la République.

Sa fiche militaire mentionne qu’avant de faire son service militaire, il était ferronnier (voir K comme chez Paul Kiss) et on peut imaginer que c’est la raison principale de son affectation dans les chars. Mon père n’a jamais parlé de ce qu’il faisait dans l’armée. Cependant, au sortir de la guerre, en août 1946, il déclare être mécanicien lors de son voyage aux États-Unis, pour visiter son frère. J’en conclus qu’il a probablement été affecté à l’entretien et à la réparation des chars et que c’est ainsi qu’il a appris le métier de mécanicien.

Registre d’entrée aux États-Unis, Ellis Island, août 1946

Même si la fiche militaire de mon père ne mentionne pas d’autre affectation que le régiment 507, il semble que celui-ci ait été dissous le 27 août 1939 pour constituer deux bataillons de chars de combat soit le 19e bataillon comprenant 45 chars D2, et le 20e bataillon comprenant 45 chars R35 qui sont des chars légers.

  • 1923: L’appellation définitive « Régiment de Chars de Combat » (RCC) est adoptée
  • 1939: Dissolution du 507e R.C.C.
  • 1939: 507e Groupe de Bataillons de Chars de Combat (GBCC):
    •  19e Bataillon de Chars de Combat (BCC) rattaché administrativement au 507e GBCC,
    • 20e Bataillon de Chars de Combat (BCC) rattaché administrativement au 507e GBCC.
  • Extrait de 507e RCC sur le site Cavaliers et blindés ‘hier et d’aujourd’hui

Chaque bataillon était ensuite organisé en trois compagnies de combat, une compagnie d’échelon et d’une section d’ouvriers de parc. Chaque compagnie de combat est elle-même divisée en quatre sections incluant un ou des membres de la compagnie d’échelon chargé du support technique (réparations, dépannage et approvisionnement).

Or, si on se fie aux documents de l’armée française, les chars français avaient grandement besoin d’entretien et de réparations, tant pendant ce qu’on a appelé la « drôle de guerre » que durant les semaines de bataille. Car si au début les troupes attendaient l’engagement, les mécaniciens, eux, devaient déjà être au travail à préparer le matériel du mieux qu’ils pouvaient.

On pourrait être surpris d’apprendre que des chars livrés en 1937 et supposés équiper un « régiment d’élite » étaient déjà « à bout de souffle », deux ans plus tard. Pourtant, leurs faiblesses – notamment au niveau du moteur, de la direction et de la transmission ainsi que du refroidissement – se sont révélées rapidement. Enfin, le manque de pièces de rechange n’arrangeait pas les choses.

Probablement que la présence d’un homme comme mon père qui connaissait la fonderie et qui était capable de réparer les pièces cassées ou d’en créer des nouvelles à partir de pièces de métal, s’est révélée particulièrement utile.

« …le Bataillon commença à recevoir au début de 1937, le matériel D 2 avec lequel il devait partir en campagne et qu’il était seul dans notre Arme à posséder.
Les photographies et dessins qui illustrent ce récit donnent une idée exacte de ce qu’était ce Char qui avait fière allure et qui constituait un puissant moyen de combat.
Malheureusement, la pénurie de rechanges et les retards dans les fabrications empêchèrent de remettre en état ce matériel qui avait servi à l’instruction de 1937 à 1939. Ce fut avec des chars usés, à bout de souffle, que le 19e Bataillon entra dans la bataille.
Une deuxième tranche de 50 D 2 avait été mise en fabrication au début de la Guerre. Mais les Chars ne commencèrent à sortir des usines que fin Avril 1940. Confiés à des Compagnies Autonomes (345 – 346 – 350) qui furent placées au fur et à mesure de leur mise sur pied, sous le commandement du Chef de Bataillon, commandant le 19e, ils furent livrés trop tard pour être utilisés dans de bonnes conditions. »
https://www.chars-francais.net/2015/index.php/28-documentation/jmo-historiques/2434-1940-19e-bcc-historique

Je ne sais pas auquel des 19e ou 20e bataillon, mon père a été affecté. J’imagine cependant qu’il était au dépôt à travailler sur les chars laissés en arrière pour réparations, mais il pourrait aussi avoir été affecté à l’atelier réduit et aux équipes de dépanneurs qui suivaient les chars dans leurs missions.

Char Renault D2 dans la neige en janvier 1940

Septembre 1939 : « … Le séjour à Létricourt touche à sa fin. Le 13, brusquement, le Bataillon reçoit l’ordre de se porter par l’itinéraire AULNOIS, SALES, FRESNES, SAULNOIS, CHATEAU-SALINS, DIEUZE, FENESTRANGE à GŒTZENBRUCK SARREINBERG.
Le Bataillon quitte Létricourt le 14, à 4 heures.
L’étape (83 km) est extrêmement pénible. Le matériel très fatigué par le service intensif qu’il avait dû fournir en temps de paix, et n’ayant jamais fait l’objet d’une révision complète des trains de roulement, en raison du manque de pièces de rechange, se trouve au cours de cette journée, échelonné sur le parcours. Alors que le premier char se trouve à RAUWILLER, le dernier est à peine sorti de LETRlCOURT. L’absence de tracteurs puissants interdit tout transport de nombreux chars en panne et les équipes de Dépanneurs doivent fournir un effort considérable. »
https://www.chars-francais.net/2015/index.php/28-documentation/jmo-historiques/2434-1940-19e-bcc-historique

Suite à une énième réorganisation, le 15 mai, le 19e bataillon de chars a été intégré à la IVe division cuirassée que le colonel de Gaulle a été chargé de constituer. Le 27 mai, a lieu l’attaque d’Amiens. La revue du journal de marches et opérations du 19e bataillon nous apprend que durant toute la période d’affrontement avec l’ennemi, soit du 15 au 31 mai son action est offensive pour devenir défensive à partir du 1er juin et protéger le repli des compagnies françaises et étrangères et sauver ainsi bien des vies.

Mai et Juin 1940 : « Malgré toutes ces difficultés, ayant à peine la moitié de ses moyens, la 4e, dès les premières heures de sa constitution, passe à L’OFFENSIVE.
1° Pour arrêter l’avance allemande en direction des Ponts de PARIS et de l’Ouest. Elle sera engagée les 17 et 19 Mai, en direction de MONTCORNET, puis des ponts de la Serre.
2° Pour réduire la tête de Pont d’AMlENS et celle d’ABBEVILLE. Elle sera engagée les 27 (19e Bataillon seul), 28, 29 et 30 Mai.
A partir du 1er Juin, elle passe à LA DEFENSIVE.
Usée par les Combats de Mai, elle n’a plus la force offensive suffisante. Obligée d’autre part, à de perpétuels engagements, elle ne combat plus à partir de ce moment qu’au profit des Grandes Unités dont elle permettra le décrochage et le repli et sauve ainsi une grande partie de l’Armée Française.«  https://www.chars-francais.net/2015/index.php/28-documentation/jmo-historiques/2434-1940-19e-bcc-historique

On peut voir le numéro
507 sur le col de la veste
de mon père

Mon père n’y a cependant pas participé car sa fiche militaire nous apprend qu’à partir du 27 mai 1940, il avait été transféré au dépôt du 507e régiment sans mention d’où il venait ni de sa nouvelle d’adresse.

Moins d’un mois plus tard, le 22 juin 1940, soit le lendemain de la signature de l’Armistice par le maréchal Pétain, mon père était fait prisonnier à Vannes, où sa division avait un dépôt probablement équipé de quelques chars servant à la formation des soldats.

« Les dépôts des 507ème (régiment commandé par le colonel de Gaulle au moment de l’entrée en guerre) et 509ème régiments de chars, et leurs recrues en formation s’éloignent dès l’automne de leur casernes situées trop près de la frontière allemande et se replient alors sur Meucon. Faute de place, de nombreux militaires occupent des bâtiments de ferme dans la région. (…)
Vannes et ses campagnes proches, deviennent ainsi une fourmilière de militaires. » (…)
« Le passage des réfugiés rue du Mené et rue Hoche, contribue à démoraliser une garnison pourtant bien tenue en main par le général Le Bleu qui se prépare au combat au delà de la zone « ville ouverte », cercle de six km autour de Vannes. (…)
L’entrée des Allemands dans Vannes se fait dans le calme et la crainte. L’ennemi occupe un certain nombre de lieux publics ou privés, réquisitionne, expulse pour loger ses services et ses troupes. Les soldats français, capturés par milliers dans les casernes, sont regroupés à Meucon et la Bourdonnaye. Bien peu tentent de s’enfuir, persuadés d’être bientôt libérés. » https://bretagne-39-45.forums-actifs.com/t1784-505-507-vannes-metz

Je me souviens que mon père, au moins à une occasion, m’a dit comment, qu’à l’instar de ses camarades, il était persuadé qu’une fois que la France aurait capitulé, elle serait surement occupée mais qu’eux seraient libérés. Tant d’années plus tard, il avait encore des regrets de ne pas s’être sauvé avant l’arrivée des Allemands, faisant fi peut-être du fait qu’il aurait pu être tué.

Publié par L'abécédaire de mes ancêtres

Bonjour, D'origine française, je vis au Canada depuis plus de 40 ans. Généalogiste amateure, j'essaye de retracer la vie de mes ancêtres. Grâce à l'aide inestimable de parents mais aussi à des photos d'époque et à des articles de journaux ainsi qu'à des documents d'état civil et d'archives, je m'efforce de remonter le temps. Les articles réunis dans ce blogue sont principalement destinés à ma famille mais aussi à toute personne intéressée à l'histoire du quotidien et de gens ordinaires ayant mené une vie supposément sans histoire. Dominique G.

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