A comme Archives des Hôpitaux de Paris

Pavillon Mathieu Jaboulay où sont hébergées les archives des hôpitaux de Paris

Depuis quelques années, chacune de mes visites en France comprend au moins une visite dans un nouveau lieu lié à mes ancêtres ou encore un passage aux archives ou dans des bibliothèques municipales ou autres. Ainsi, alors que rien dans ma généalogie ne me relie à la ville de Kremlin-Bicêtre ni à l’hôpital Bicêtre dans le Val de Marne, c’est pourtant là que je me suis rendue, le printemps dernier, pour consulter les registres des archives des hôpitaux de Paris.

Ancien asile psychiatrique de l’hôpital Bicêtre

D’abord, il faut trouver le lieu, car si l’hôpital n’est situé qu’à quelques centaines de mètres de la station de métro du même nom, il est aussi très vaste. Sorte de village dans la ville, il est constitué de plusieurs rues, de jardins et de nombreux édifices datant pour certains de plusieurs siècles et tandis que d’autres ont servi d’asile psychiatrique.

Ancien pavillon de l’hôpital Bicêtre qui semble dater du début du 19e siècle

Le pavillon Mathieu-Jaboulay

Après avoir tourné en rond, même avec mon GPS, j’ai fini par recevoir l’aide d’une personne, travaillant non loin de là, qui m’a fait prendre un sentier longeant une haie pour accéder au bâtiment Mathieu-Jaboulay datant de la fin du 19e siècle.

Ancienne pharmacie d’hôpital avec quelques exemples
d’anciens médicaments et traitements
exposée dans le musée attaché aux archives.

Après avoir sonné au numéro 36, on m’a fait entrer dans une grande salle servant de musée puis prendre un corridor aux murs couverts de photos anciennes agrandies et documentant les conditions de pratique de la médecine au cours des derniers siècles.

Parmi les présentoirs du musée on pouvait voir du vieux mobilier comme cette pharmacie remplie d’anciens médicaments à base de camphre, d’iode et d’autres composés d’origine végétale, animale ou minérale.

La salle de lecture et les archives

Au bout du couloir, se trouvait la salle de lecture où une documentaliste m’a accueillie et m’a aidée à rapidement commander les premiers registres que je désirais consulter car la première heure de levée approchait.

Comme à chaque fois que je vais aux archives, j’avais déjà fait ma recherche en ligne ce qui me permets de rentrer les quatre ou cinq quotes que je veux commander pour chaque levée.

Un registre des décès de 1929-1930
ou j’ai cherché des informations
sur la mort de mon arrière-grand-mère

Ma liste était longue car au cours de mes précédentes recherches dans les actes d’état civil, j’avais remarqué que plusieurs de mes ancêtres étaient décédés à des adresses qui correspondaient à des hôpitaux. Même si les actes eux-mêmes étaient muets quant aux causes des décès, j’avais bon espoir de trouver des réponses dans les registres de population indiquant non seulement les dates d’entrée et de sortie des patients mais aussi la raison de leur hospitalisation.

De plus, je voulais vérifier les renseignements reliés à quelques rares naissances ayant eu lieu à l’hôpital. J’ai ainsi pu consulter une bonne dizaine de registres. Si je n’ai pas pu trouver toutes les informations que je cherchais, j’ai quand même pu obtenir certaines réponses et j’ai même eu quelques surprises que j’aurai l’occasion de partager dans de futures articles.

En attendant mes commandes de registres, je me suis promenée dans le musée et les corridors pour apprécier les progrès de la médecine tout comme ceux des conditions de travail et d’hospitalisation en vigueur durant le 19e siècle et même le début du 20e.

Vitrine de plusieurs médicaments à
injecter dont certains par intraveineuse

Le musée

La section musée, consacrée à la pharmacie hospitalière, présentait une collection d’anciens contenants et instruments de mesure. Ceux-ci provenant probablement de l’époque où les hôpitaux avaient une apothicairerie alors que la première fut établie en 1495 à l’Hôtel-Dieu.

Au total, l’exposition comprenait une bonne centaine d’objets et j’ai été particulièrement frappée par plusieurs vitrines consacrées aux premiers médicaments manufacturés à plus grande échelle.

Ainsi, on pouvait voir d’anciennes seringues ainsi qu’une série de médicaments dont de la cocaïne probablement utilisée contre la douleur. Et d’autres encore plus curieux, comme les cigarettes antiasthmatiques Richelet dont on recommande de respirer la fumée à chaque crise pour un soulagement rapide ou encore la ouabaïne Arnaud cristallisée pour injections intraveineuses qui est un carditonique découvert par le docteur Arnaud en 1888. Ce médicament recommandé en cas d’urgence pour accroitre les contractions cardiaques n’est plus utilisé de nos jours. Sur ce même présentoir, on peut parcourir un document traitant de l’administration de l’Éranol qui est de l’iode colloïdal pour traiter les problèmes de thyroïde.

Petite mallette avec des médicaments plus récents

Dans un autre coffret à pharmacie on pouvait voir des médications encore plus récentes et donc plus nombreuses. Certaines avec des noms connus comme le Doliprane et d’autres dont je n’avais jamais entendu parler comme le Novismuth pour les problèmes gastriques et intestinaux ou le Suppovita qui sont des suppositoires à la vitamine A ou encore l’Agiocardol sous forme d’ampoules injectables.

Un corridor plein de photos

Parmi les photos accrochées aux murs du corridor, j’ai été particulièrement frappée par celle représentant une salle commune prise lors d’une visite du médecin. On y voit une dizaine de lits sans rideaux de séparation où sont alitées plusieurs futures mères entourées d’infirmières et de sages-femmes. Au fond, un médecin acccompagné d’internes fait sa tournée. Prise en 1932, cette photo a moins de cent ans. Cependant, de nos jours, de telles conditions d’hospitalisation seraient impensables. À tout le moins en Occident, alors que le personnel hospitalier fait cruellement défaut et que nous valorisons la confidentialité tout comme l’intimité.

La vignette de cette photo exposée dans les corridors des archives indique
Visite du Dr Laurier et des sages-femmes,
salle commune de la maternité de Cochin, 1932

Cette salle d’exposition et ce corridor de photographies ne présentent qu’une infime partie des collections du musée des Hôpitaux de Paris fondé en 1934. Alors que, selon son site web, celui-ci « compte dans ses collections environ 13 000 œuvres et objets, représentatifs de la vie hospitalière, du Moyen Âge à nos jours. » Situé également au pavillon Mathieu Jaboulay, le musée est présentement fermé au public.

La section bibliothèque

Consciente de l’intérêt public, surtout à des fins généalogiques, l’administration des Archives des hôpitaux de Paris a aussi installé une petite section bibliothèque où on peut consulter différentes publications comme celle-ci sur les archives hospitalières et de la bienfaisance.

Publication sur les Archives

Chaque année, les archives publient également une série de livrets et fascicules d’une douzaine de pages sur différents thèmes liés à leurs collections et regroupés sous le nom « Patrimoine en revue« . Parmi les thèmes explorés mentionnons : les archives comptables, les microbes et les bactéries, la petite histoire du berceau, les sanatoriums des hôpitaux de Paris, etc. que l’on peut consulter sur place et en ligne dans la section publications.

Alors que d’habitude, je trouve les visites aux archives particulièrement fatigantes, chacune requérant l’inscription et l’ouverture d’un dossier, et ayant son propre mode de fonctionnement qui inclut des heures de levée ainsi que des contrôles et restrictions souvent tout à fait légitimes, j’ai trouvé que les archives des hôpitaux de Paris, sont parmi les plus agréables à visiter.

Lors de ma visite, la petite salle de lecture était presque déserte et le personnel, heureux de voir des visiteurs, était disponible et très serviable. Cela faisait agréablement contraste avec les archives départementales de Paris où les archivistes étaient débordés et bombardés de questions par des visiteurs qui devaient souvent faire la queue pour obtenir leur aide.

Pour en savoir plus sur les archives hospitalières tant à Paris que dans les autres archives départementales, je recommande de consulter la thèse de Mireille Bayle-Borgna, « Et si les archives hospitalières des 19e et 20e siècles racontaient l’Histoire » parue en 2023.

Sources :

T comme Tonnerre, Terreur et Traumas

J’ai déjà parlé du stress post-traumatique de mon père et de comment à son retour d’Allemagne, il avait une peur terrible du tonnerre. Les jours d’orage, il prenait ses nièces et son neveu dans ses bras et se mettait à l’abri sous une table ou derrière un meuble. Cela les avait beaucoup frappé.

Ce que je ne savais pas vraiment, c’était d’où cela venait. Bien sûr, je savais qu’avant de capituler l’Allemagne avait subi de lourdes pertes et avait été bombardée à plusieurs reprises. Mais qu’en était-il de Dessau ? Ce centre industriel où on construisait des avions, des munitions et du matériel militaire et où mon père devait travailler en tant que prisonnier de guerre.

Des 19 bombardements de Dessau, celui du 7 mars 1945 a été le plus dévastateur

Mes recherches récentes m’ont permis de découvrir que de 1940 à 1945, la ville de Dessau a essuyé dix-neuf raids aériens majoritairement de nuit. Les premiers, ont eu lieu les 19/20 août 1940, puis le 23 novembre et les 15/16 décembre. Suivis par quatre occurrences en 1941 (les 13 mars, 10 et 18 avril et 15 août) et quatre autres en 1943 (les 15/16 et 20/21 juin, les 31 août/1er septembre et les 22/23 novembre). En 1944, la fréquence des raids s’est intensifiée après le 21 janvier avec quatre raids du 4 mai au 28 septembre. Puis, ils ont repris les 16 janvier et 7 mars 1945.  

Chaque fois, ces raids faisaient des dégâts comme en 1944 quand l’usine et les hangars de la compagnie Junker étaient bombardés.

En juillet 1944, « De graves dégâts ont été causés, en particulier dans les usines Junkers … et dans les zones résidentielles voisines… ainsi que la raffinerie de sucre et l’usine BAMAG II. 13 personnes sont mortes, 134 se sont retrouvées sans abri. » Puis en août 1944, « Environ 250 avions ont attaqué l’usine de moteurs Junkers et la zone résidentielle adjacente. Le centre-ville n’a pas été touché. Un certain nombre d’avions américains et britanniques abattus sont tombés à proximité. La production de moteurs a été fortement affectée, mais s’est poursuivie. 33 personnes ont perdu la vie, 29 ont été blessées. Les employés de l’usine n’en faisaient pas partie. »

Les industries de Dessau ont été régulièrement bombardées de 1940 à 1945

Le raid du 7 mars 1945

Mais le raid le plus terrible a été celui du 7 mars 1945. Alors que les Alliés, voulant frapper un grand coup, amorçaient une attaque qu’ils préparaient depuis des mois.

Ce jour-là, les avions alliés sont parvenus à déjouer la défense anti-aérienne allemande et à attaquer simultanément les principales villes allemandes dont Berlin, Dessau, Dresde, Leipzig, Potsdam.

Pour Dessau, la justification de l’attaque était la suivante : « Cette attaque a pour but d’interrompre les lignes de ravitaillement de l’ennemi et d’aider à désorganiser son mouvement de fuite à partir de Berlin. »

De plus, concernant Dessau, une météo défavorable les a empêchés d’identifier précisément leurs cibles, causant des dégâts beaucoup plus importants que prévus.

Plus de 1 600 tonnes de bombes ont été larguées. Il ne restait plus qu’une mer de flammes. En mars 1945, environ 84 % du centre-ville de Dessau a été détruit, et presque aucune autre ville allemande n’est restée debout.

On peut retrouver le décompte détaillé de cette nuit fatidique sur un site allemand qui rassemble aussi plusieurs témoignages de survivants. Même sans images, on peut très bien imaginer le choc pour l’ensemble des habitants de la ville mais aussi de la région.

Chronologie de l’opération

10h40 : La décision d’attaquer Dessau a été prise au petit matin. Les commandants de quatre groupes de bombardiers reçoivent l’ordre préliminaire de se préparer à une attaque de nuit sur Dessau. 25 minutes plus tard, la commande préliminaire est confirmée, on lance l’opération « Shad ». 

12h45 : Le rapport d’un avion de reconnaissance météorologique a indiqué que la visibilité était bonne et le serait probablement pour la nuit. « … excellente possibilité qu’il y ait peu ou pas de couverture nuageuse au-dessus de la cible. » La cible était alors la tour du musée de Dessau.

Bombardiers Lancaster anglais

14h30 : Les équipages ont été informés de la cible de nuit tandis que commençaient le chargement et le ravitaillement en carburant des avions pour un vol de huit à neuf heures. Un total de 526 bombardiers incluant 520 « Lancaster » et six « Mosquito » faisaient partie de la mission.

16h45 à 17h14 : Des centaines de bombardiers ont décollé des aérodromes de l’est de l’Angleterre. Ceux qui se destinaient à Dessau mettaient le cap sur Reading, à l’ouest de Londres, point de rendez-vous. Ensuite ils se sont s’envolés vers le sud à travers la Manche, puis, entre Cologne et Düsseldorf vers le Rhin et la ligne de front. Ils volaient à une vitesse de croisière de 260 kilomètres à l’heure.

19h45 : Arrivés entre Aix-la-Chapelle et Roermond, les bombardiers sont pris en chasse par la défense aérienne allemande qui s’attendait à un raid aérien sur la région de la Ruhr et avait regroupé des groupes de chasseurs entre Cologne et Düsseldorf.

20h21 : Les bombardiers survolaient la région de la Ruhr en direction de l’est tandis que les pilotes de chasse recevaient l’ordre de se rendre à Magdeburg et que les défenses aériennes allemandes pensaient que Berlin était la cible principale. C’est alors, qu’entre Genthin et Magdeburg, le convoi a tourné brusquement et a mis le cap sur Dessau. À 16 kilomètres de l’arrivée, les quelque 500 bombardiers, volant en trois vagues, ont augmenté leur vitesse à 290 kilomètres à l’heure.

21h45 à 22h15 : Alors que Dessau était la cible principale, le bombardement de nuit devait avoir lieu simultanément sur les villes de Hambourg-Harburg, Heide et Berlin à l’intérieur d’une fourchette serrée de 30 minutes, soit entre 21h45 et 22h15. Les autres opérations étaient destinées à détourner l’attention de la défense allemande.

Plus de 500 bombardiers ont bombardé Dessau

21h52 : Contrairement aux prévisions, il y a d’épais nuages et le major maître bombardier de l’attaque, a ordonné que la zone ciblée soit éclairée par des fusées éclairantes blanches. Alors que son équipement radio est tombé partiellement en panne, il a demandé d’installer un marqueur de ciel à la place du marqueur de sol afin de pouvoir s’orienter.

21h53 : Malgré l’absence d’instructions, les bombardiers ont pu s’approcher de la cible à plusieurs reprises sans risque car les chasseurs de nuit allemands et les défenses anti-aériennes sont alors très faibles. Selon le rapport de mission, 1 693 tonnes de bombes ont été lachées dont 744 tonnes de bombes explosives et 949 tonnes de bombes incendiaires.

22h04 : La couverture nuageuse s’étant brisée les pilotes ont été à même de constater que Dessau était presque complètement anéantie.

22h20 : Les bombardiers sont repartis à toute allure alors que leur vitesse passe de 290 à 400 kilomètres à l’heure pour attérrir en Angleterre à 1h45.

Dessau brûle : des témoignages terrifiants

Le rapport du 1er groupe de bombardiers indique : « À 22 h 04, une grande zone ouverte s’est formée dans la couverture nuageuse et les équipages pouvaient clairement distinguer la boucle de l’Elbe et la zone bâtie, les bombes vertes et rouges ont été vues en train de brûler près du point cible. Toute la ville était couverte d’incendies. Plusieurs grandes explosions ont été observées, notamment une à 22 h 11, qui avait une teinte orange.»

Un avion arrivé plus tard en raison d’une erreur de navigation a signalé que «trois grands incendies de forêt étaient visibles dans les parties est, sud et ouest de la ville, produisant un panache de fumée noire jusqu’à 8 000 pieds de haut.» Il est rapporté que la lueur de l’incendie pouvait être vue au-dessus de la ville jusqu’à une distance de 180 kilomètres.

Le raid du 7 mars 1945 a détruit Dessau à plus de 80%

«Les rugissements et les balancements ont continué, 45 longues et interminables minutes. Soudain, la porte du bunker s’ouvrit. Une femme entra en titubant. Derrière un pansement d’urgence taché de sang, on ne voyait que le visage cendré et enfoncé qui ressemblait aux autres autour de moi. Mais les yeux étaient différents. Ce scintillement erratique ne m’a pas seulement effrayé. La femme se mit à gémir : « C’est terrible. Le ciel au-dessus de Dessau brûle. Dessau n’est plus.» Hermann Jäger, alors âgé de neuf ans

«Dessau a été approché en sept vagues et les bombardiers ont largué leurs charges. D’abord des bombes explosives sont tombées, puis des bombes incendiaires, puis des mines aériennes et encore et encore des bombes explosives alternativement. C’était terrible… L’attaque a duré plus de 40 minutes et nos nerfs étaient à vif. Seuls ceux qui en ont fait l’expérience eux-mêmes peuvent le comprendre.» Anni Druschke, alors âgée de 33 ans

Mon père a vécu à Dessau durant l’essentiel de sa captivité et a donc connu ces dix-neuf raids incluant celui du 7 mars 1945. Il y a probablement perdu des collègues et des connaissances si ce n’est des amis. Comment être surpris qu’une expérience aussi traumatisante puisse marquer à long terme ceux qui l’ont vécue et surtout qu’ils ne veuillent pas en parler ?

Sources :

K comme Kommando 170/24

Ancienne usine Bamag du début du 20e siècle

Dans mon dernier article, j’ai partagé une lettre datée du 11 mai 1941 que mon père avait envoyée à sa famille alors qu’il était prisonnier en Allemagne. Il y mentionnait son changement de kommando sans donner beaucoup d’information sur sa nouvelle affectation au kommando 170/24. Il indiquait cependant travailler comme ajusteur dans une grande usine moderne.

Ce 11/5/41 Ma petite maman et mon cher Paul Je viens de changer de kommandos. Je suis maintenant au 170/24, je travaille comme ajusteur dans une grande usine très propre et très moderne, du travail très précis cela me change de mon travail de manoeuvre.

Dans sa lettre, mon père ne dit rien non plus de ses conditions de travail. Pourtant, un membre d’un autre kommando du stalag XI A, travaillant également dans une usine métalurgique, rapporte que :

« Nos horaires sont simples : deux rotations de 12 h par jour, cinq jours par semaine, le samedi après-midi et le dimanche étant normalement réservés au repos. Mais cette règle est ignorée chaque fois que de la main d’œuvre est nécessaire pour des corvées supplémentaires comme par exemple le déchargement des wagons de tourbe, combustible utilisé à l’usine pour faire fonctionner les machines. »

Dessau, ville industrielle

Un peu de recherche en ligne nous apprend qu’il existe des renseignements sur les centaines de kommandos du Stalag XI A. Grâce au site de Patrick Pognant sur les Stalag, kommandos et prisonniers de guerre, j’ai trouvé deux sources principales, l’une qui est une copie d’une liste en partie manuscrite déposée aux archives nationales françaises, l’autre liste vient de la bibliothèque belge Bibliotheca-Andana.

Bibliotheca-Andana Stalag XI A document 7

Leurs informations concordent pour dire que les kommandos de la série 170 travaillaient dans de nombreuses industries de la ville de Dessau située à quelques quarante kilomètres au sud du camp de prisonniers d’Altengrabow. Au total, j’ai compté plus d’une quarantaine de kommandos dans la région de Dessau dans des domaines aussi divers que des raffineries de sucre, des mines de potasse mais surtout des usines de produits chimiques, de métallurgie et même d’armement.

Vu la distance et le nombre de prisonniers employés à Dessau, je doute qu’on les ait transportés matin et soir entre leur usine et le stalag XI A. Je pense plutôt qu’on les hébergeait sur place, même si pour les familles l’adresse postale restait leur camp de prisonniers. Cela explique probablement leur changement de conditions telles que mentionnées par mon père quand il dit avoir maintenant des draps.

Copie des documents déposés aux archives nationales
Les usines Bamag I, II et III

Usine Bamag

Bamag est en fait un acronyme pour Berliner Anhalt Machinenfabrik Geselischaft et désigne un manufacturier de renommée internationale qui fait beaucoup de recherche et développement et dont les produits sont utilisés dans différentes industries incluant l’aéronautique. Son équipement est, entre autres, utilisé par l’usine Junker également située à Dessau, et où mon père fut éventuellement transféré. J’en parle ici.

Ces deux listes s’accordent aussi sur le fait que le kommando 170/24 était affecté aux usines de métallurgie et d’armement III et IV de Bamag. En plus, deux autres kommandos étaient assignés à Bamag soit le kommando 170/10 oeuvrant probablement sur du matériel destiné à l’avionneur Junkers dans l’usine I et le kommando 170/33 qui travaillait aux usines II et III.

Bien sûr, des années 1930 à 1945, Bamag se doit de contribuer à l’effort de guerre comme elle l’avait fait pour la guerre de 1914-18.

Contournement du Traité de Versailles

On se souviendra qu’en vertu du Traité de Versailles, signé lors de la capitulation de l’Allemagne à la fin de la Première Guerre mondiale, celle-ci n’était pas censée avoir d’armée, ni d’industrie de guerre. Cependant, avec la crise économique et le krach boursier, les pays chargés de surveiller l’application du traité ont commencé à être négligents permettant à Hitler de travailler au réarmement de son armée dès 1933.

Affiche pour des turbines BAMAG

Traitement des prisonniers de guerre

Voilà que de 1940 à 1945, ce sont les prisonniers qui servent de main-d’oeuvre pour fournir l’armée allemande en armes et matériel. Pour ceux temptés de se rebeller, les tentatives de sabottage étaient sévèrement punies.

On parle de travail forcé car les prisonniers n’avaient pas le choix. Dans son article Wikipedia sur le développement du complexe militaro-industriel allemand l’auteur indique que :

« En 1944, l’Allemagne employait dans l’agriculture et l’industrie 5,3 millions de civils étrangers et 1,8 million de prisonniers de guerre soit 24 % de l’ensemble de la population active. Au total, entre 1939 et 1945, 12 millions de personnes seront utilisées comme main-d’œuvre forcée ».

Les sous-officiers, dont faisait partie mon père en tant que caporal, n’étaient pas supposés être obligés de travailler. Cependant, plusieurs témoignages indiquent clairement que ceux qui ont refusé de collaborer ont fait l’objet de brimades et de représailles comme la privation de nourriture et autres sévices.

Convention de Genève

Ce n’est qu’à la fin de la guerre soit en 1949 que sera signée la IIIe Convention de Genève clarifiant les règles en cas de conflits armés internationaux concernant le traitement des civils et prisonniers de guerre. Ainsi la IIIe Convention de Genève dispose que «la Puissance détentrice pourra employer les prisonniers de guerre valides comme travailleurs, en tenant compte de leur âge, de leur sexe, de leur grade ainsi que de leurs aptitudes physiques, et en vue notamment de les maintenir dans un bon état de santé physique et morale».

Sources:

N comme Nouvelles d’un prisonnier de guerre

Dessin des fils barbelés et mirador au stalag XI A à Altengrabow par Louis Klinkenberg

Connaissant mon intérêt pour la généalogie, ma famille me garde à l’occasion des documents oubliés au fond d’un tiroir ou d’une mallette. C’est comme ça qu’on m’a remis de la correspondance que mon père avait envoyée à sa famille alors qu’il était prisonnier en Allemagne.

Bien que je n’aie jamais retrouvé son nom sur les listes officielles, je sais qu’il était le prisonnier 97.854 au Stalag XI A situé à Altengrabow. Déjà ce numéro de prisonnier nous indique la grandeur du camp alors que des milliers de prisonniers de nombreuses nationalités s’entassaient dans des baraquements. J’en ai déjà parlé ici et ici.

Correspondance avec la famille et les amis

Avec le nombre grandissant de prisonniers de guerre, l’Allemagne nazie met en place un nouveau système de correspondance, le premier janvier 1941. Dorénavant, chaque prisonnier n’a droit qu’à deux cartes postales et deux lettres par mois. Des lettres standard d’une vingtaine de lignes sont fournies à chaque prisonnier. Avec si peu d’espace pour échanger, pas étonnant que les lettres aillent souvent droit au but.

Afin que leurs correspondants puissent leur répondre, les prisonniers doivent aussi leur faire parvenir des formulaires qui seront les seuls autorisés. Il en va de même pour les paquets qui doivent absolument porter l’étiquette fournie par l’administration allemande.

Grande nouvelle

La première lettre de mon père, mais probablement pas la première qu’il ait envoyée, date de mai 1941. Depuis environ huit mois, il est au Stalag qui en plus de milliers de Français compte alors des Belges et des Polonais.

Cette lettre est adressée à sa mère Christine Guillaumant et au compagnon de celle-ci Paul Poirrier, membre à part entière de la famille bien qu’ils ne se soient jamais mariés. En se mariant, Christine aurait perdu sa pension de veuve de guerre.

Ce 11/5/41 Ma petite maman et mon cher Paul Je viens de changer de kommandos. Je suis maintenant au 170/24, je travaille comme ajusteur dans une grande usine très propre et très moderne, du travail très précis cela me change de mon travail de manoeuvre. Nous avons des draps et des bleus de travail inutile de m’en envoyer; la nourriture est peut-être un peu moins abondante qu’au dernier kommando mais le reste des avantages contrebalance amplement cela. Ici il fait un drôle de printemps, il neige et il fait très froid, nous sommes obligés de faire du feu dans les chambres, je ne sais quand ça va se terminer, je pense que la France est plus avantagée au point de vue climat. J’ai eu un moment l’espoir de rentrer en France, car mon départ de mon ancien kommando avait fait une « salade » mais mon espoir a bien vite été déçu, il y a des jours ou cela commence à peser rudement enfin… Je ne t’envoie qu’une étiquette rouge, mets moi des limes et du tabac un peu de savon si tu peux et une ou deux paires de chaussettes (coton ou autre) et de quoi les réparer, l’autre étiquette je l’envoie à Solange. Plus tendres baisers André

Un courrier retardé et contrôlé

Les temps de correspondance devaient être passablement longs, car bien que datée du 11 mai, cette lettre n’a été expédiée que le 27 du même mois comme en fait foi le timbre postal. Le temps probablement que la police du camp et peut-être celle des frontières vérifient le contenu.

Il est à noter que dans sa lettre, mon père se garde bien de nommer ou de situer l’usine ou encore de dire exactement sur quoi il travaille. On comprend quand même qu’il s’agit probablement d’une usine de métallurgie mais où et pourquoi, on l’ignore. Similairement, le numéro de kommando ne renvoie à rien de précis.

Conditions d’hébergement

Dans sa lettre, mon père parle de chambres et de lit avec des draps. Cela fait contraste avec les images que j’ai vues de baraquements avec des dortoirs.

Cependant, le camp hébergeait des milliers de prisonniers organisés en kommandos. chacun d’entre eux avait des conditions particulières. J’imagine qu’un changement de kommando voulait aussi dire un changement de groupe, de baraquement ou de bâtisse et probablement de ville.

Là encore, il donne bien peu de détails et omet de mentionner combien ils sont par chambre ou encore s’ils se chauffent au bois ou au charbon.

Étiquettes rouges

En plus de leurs deux lettres et deux cartes postales par mois, les prisonniers de guerre n’avaient droit qu’à deux paquets par mois. Ainsi, quand André indique à sa mère qu’il ne lui envoie qu’une étiquette cela veut dire que ce mois-là, elle ne pourra lui envoyer qu’un seul colis.

Ses demandes me semblent bien modestes : des limes, un peu de tabac, un peu de savon et des chaussettes avec du fil et une aiguille. Bien sûr, il sait que tout est rationné et que les choses sont également difficiles pour sa mère qui devait ajouter ce qu’elle pouvait à cette liste. On m’a toujours dit que mon père avait commencé à fumer pendant la guerre pour couper la faim et probablement passer le temps.

L’autre étiquette était pour Solange. J’ignore qui est Solange mais j’imagine que c’est sa petite amie du moment. À ce que j’en sais, celle-ci n’a pas attendu la fin de la guerre et son retour. Mais, en mai 1941, on est encore au début du conflit et cela fait seulement quelques mois que mon père est prisonnier.

Malgré tout, plusieurs prisonniers sans famille pouvaient seulement compter sur la croix rouge française qui faisait de son mieux pour combler les nombreuses lacunes.

Tout une « salade » et espoir vite déçu

Tous les prisonniers avaient l’espoir de pouvoir rentrer au plus vite. J’imagine qu’à voir mon père quitter son kommando, certains collègues se sont demandé pourquoi eux devaient rester. Surtout pour un travail de manoeuvre qui devait être pénible.

Quand il dit « J’ai eu un moment l’espoir de rentrer en France, car mon départ de mon ancien kommando avait fait une « salade » mais mon espoir a bien vite été déçu, il y a des jours ou cela commence à peser rudement enfin… » il exprime le sentiment général d’hommes qui ont été déracinés et embarqués dans un conflit plus ou moins contre leur gré. Cependant, loin de finir, sa détention ne faisait que commencer. Il n’allait rentrer chez lui que quatre longues années de privations plus tard.

Service du Travail Obligatoire

La France ayant capitulé, ils étaient nombreux à penser que les choses allaient rentrer dans l’ordre et que le champ de bataille allait se déplacer vers les pays encore en guerre. C’était sans compter les besoins énormes de l’Allemagne en main d’oeuvre bon marché.

Si la France avait bien mis en place un programme, soutenu par tout une propagande, qui permettait aux citoyens français d’aller remplacer un prisonnier ou encore travailler en Allemagne, celui-ci eut bien peu de succès. Bien vite, soit dès 1942, le gouvernement de Vichy fut sommé par l’occupant d’instituer le Service du Travail Obligatoire connu sous le nom S.T.O. pour aller remplacer les ouvriers allemands partis au front ou tués. Ainsi, en plus du million et demi de prisonniers, la France a envoyé en Allemagne plusieurs milliers de travailleurs réquisitionnés d’office.

En voyant arriver tous ces ouvriers français pour soutenir l’effort de guerre allemand, les espoirs de retour à la maison de mon père, comme de milliers d’autres, devaient être bien minces.

Sources:

S comme le Siège de Paris (1870-1871)

Les souffrances de Paris ! Le titre de cette affiche est éloquent. Les images qui la composent le sont tout autant et semblent faire le tour de la question : bombardement des fortifications, combats, morts de soldats sur les champs de bataille et de civils dans les rues de la capitale, ambulances et transport des blessés, ruines et actes de vandalisme des envahisseurs, etc.

Ainsi, en quelques mois, la guerre franco-allemande de 1870 allait mener au siège de Paris, à l’abdication de Napoléon III, à la fin du second Empire et à l’instauration de la troisième république.

Liste des blessés publiée dans le journal Le Temps
en date du 22 octobre 1870 – Retronews

À l’époque, mes ancêtres étaient soit trop âgés, soit trop jeunes pour être enrôlés et combattre dans l’armée régulière : Louis Frédéric Guillaumant avait quarante ans, Hippolyte Félix Frédéric son fils ainé, qui deviendra mon arrière-grand-père, n’en avait que seize. L’un d’entre eux a-t-il décidé de rejoindre un des bataillons de la garde nationale ? Je l’ignore.

La seule référence que j’ai trouvé est celle d’un certain Guillaumant blessé et envoyé en ambulance à l’institution des Sourds-Muets alors rattaché à l’hôpital de la Pitié-Salle Pétrière. Cependant, en consultant les registres des entrées et sorties de ces deux hôpitaux pour le mois d’octobre 1870, je n’ai encore trouvé aucune référence à un Guillaumant admis parmi les blessés.

Les fortifications et les bombardements

Impliqués directement ou non dans cette guerre, mes ancêtres l’ont côtoyée au quotidien. Tout autour de Paris, des postes avancés de défense occupaient la quinzaine de nouvelles fortifications érigées afin de défendre une ville qui avait dépassé les limites de ses anciennes portes et murs d’enceinte.

Batterie d’artillerie de la garde nationale pour défendre
les fortifications établies autour de Paris durant le siège

Paris a été rapidement encerclé et du 17 septembre 1870 au 19 janvier suivant, les canons se sont fait régulièrement entendre. Les Prussiens installés sur leurs positions repoussaient les tentatives de percées françaises et comptaient sur le temps pour épuiser et affamer la population de Paris et les 400 000 hommes venus défendre la capitale.

Des centaines de morts et de blessés

En plus d’entendre les canons, à quelques centaines de mètres de chez les Guillaumant se trouvait l’hôpital Saint-Antoine qui, comme tous les autres hôpitaux de Paris, recevait un grand nombre de soldats blessés ou malades. La grande majorité d’entre eux appartenait à la garde mobile nationale, venait de la province et était peu entrainés et peu aptes au combat. Ainsi de la mi-novembre 1870 au mois de mars 1871 les registres de l’hôpital font état d’une hécatombe parmi les corps armés comme l’indique cette note pour un soldat « Blessé par une balle prusienne étant à la maraude dans la plaine de Bondy. »

Hôpital St-Antoine, Registre des entrées et des sorties, vue 12/55
SAT/1/Q/2/88 – 6 novembre – 31 décembre 1870
Archives des Hôpitaux de Paris

Une armée et une garde mobile aux prises avec la maladie

Si les premiers malades sont surtout victimes de blessures infligées par l’ennemi ou ont été blessés par balles en cherchant à s’échapper, dès le mois de janvier les soldats hospitalisés souffrent surtout de variole. Alors qu’une épidémie sévissait déjà avant le déclenchement de la guerre, la promiscuité des soldats d’origines diverses allait encore accentuer le problème et favoriser la propagation du mal à travers toute la France.

« Si l’épidémie de variole n’est que l’une des causes de la débâcle française, elle n’en est pas la moindre « … « Une caractéristique de l’organisation militaire française a emballé l’épidémie. L’armée était divisée en trois tiers : l’active, la réserve et la garde mobile. »… « Or, ce sont les gardes mobiles qui ont été les vecteurs de la maladie, le médecin des épidémies de Limoges l’explique clairement : « Nous étions évidemment sous l’influence de l’épidémie variolique dès les premiers mois de 1870 ; mais la maladie était encore très-modérée. Tout à coup la guerre éclate : immédiatement, concentration de troupes, accumulation de militaires et dans les casernes et à l’hôpital, où existaient déjà quelques cas de variole. Dès lors, création de grands foyers d’infection, qu’on aurait pu, en temps ordinaire, limiter jusqu’à un certain point, mais que la levée des mobiles ne fit qu’augmenter. Cela se comprend facilement quand on songe aux relations incessantes qui s’établirent entre les mobiles et leurs parents : ceux-ci vinrent accompagner leurs enfants, pénétrèrent dans les casernes, l’hôpital, les infirmeries diverses. Par ailleurs, les mobiles eurent des congés pour aller voir leurs parents ; souvent même on les leur envoya en convalescence, et quelquefois non complètement guéris de la variole» Extraits de La variole et la guerre de 1870 par Gerard Jorland

Outre la variole, les campements offraient un terrain fertile aux autres maladies infectieuses comme la varicelle, la rougeole, la diphtérie et autres. De plus, les conditions de vie laissant grandement à désirer, certains souffraient de bronchites, de pneumonies et même du scorbut. D’ailleurs plusieurs mois après l’abdication de la France, les hôpitaux parisiens soignaient encore des centaines de soldats et de gardes venus défendre Paris. Difficile dans de telles conditions de repousser les envahisseurs !

Des ballons pour sortir de Paris

Pendant ce temps, les forces prussiennes se consolidaient et devant l’échec des percées françaises, plusieurs tentatives étaient entreprises pour communiquer avec la province et obtenir des renforts. Ainsi, on mit à profit des centaines de pigeons voyageurs.

7 octobre 1870 : départ de l’Armand Barbès,
ballon monté avec courrier et passagers,
parmi lesquels Léon Gambetta 

Le 7 octobre 1870 Gambetta, alors ministre de l’Intérieur, décida même de quitter Paris pour Tours sur le ballon Armand Barbès afin d’organiser les secours et la résistance. Comme semble l’illustrer ce tableau de Jules Didier et Jacques Guiaud, du Musée Carnavalet, des centaines de Parisiens pleins d’espoir étaient présentes pour lui souhaiter un bon et fructueux voyage. Mes ancêtres étaient-ils dans la foule ? En tout cas, le départ de la place St Pierre à Montmartre était assez proche de chez eux pour qu’ils le voient s’élever dans le ciel de Paris.

Du 21 septembre 1870 au 28 janvier 1871, soixante neuf ballons ont quitté Paris pour la province à partir de plusieurs gares ou places. En plus de passagers ceux-ci transportaient des milliers de lettres. Au total une cinquantaine attérirent en France, d’autres se retrouvèrent en Belgique, en Hollande, en Prusse et même en Norvège. Certains furent perdus en mer et d’autres emportés du côté des lignes ennemies dont cinq furent fait prisonniers.

Menu de Noel du Café Voisin au 261 Boul. St-Honoré Wikipédia

La famine

L’hiver 1870-71 fut particulièrement rigoureux et la population était affamée. Un système de cartes de rationnement avait bien été mis en place, mais trop tardivement. Les chevaux mais aussi les chats, les chiens et même les rats avaient fini par disparaître des rues de Paris.

Les animaux du jardin des plantes et du jardin d’acclimatation ont aussi été abattus. Pour Noël, les grands restaurants offraient de manger de l’éléphant, du chameau ou encore de l’antilope.

Soulèvement du 22 janvier 1871

Fin janvier 1871, après des semaines de sacrifices, de défaites successives et des pertes énormes en vies humaines, les dirigeants tant militaires que civils considéraient la signature d’un accord d’armistice avec les Allemands. Cependant, de nombreux Parisiens ainsi que les gardes nationaux, composés de civils parisiens, n’étaient pas prêts à abandonner la bataille. Les rumeurs de capitulation s’étant répandue dans la ville, les citoyens ont marché sur l’hôtel de Ville pour exprimer leur opposition.

Encore une fois, mes ancêtres ou leur famille étaient-ils là ? Leur nom ne semble apparaitre nulle part : ni parmi les morts ou les blessés de ce soulèvement vite réprimé par les autorités, ni parmi les dizaines de manifestants et de meneurs arrêtés.

Ce que le gouvernement ignorait, c’est qu’après la répression du soulèvement du 22 janvier, la colère des Parisiens loin de s’apaiser allait mener, moins de deux mois plus tard, à la Commune de Paris.

Cette illustration, en début d’article sur les « Souffrances de Paris », semble donc omettre plusieurs éléments déterminants de cette guerre improvisée et mal avisée. Néanmoins, la fin du siège de Paris allait aussi signifier la fin de la guerre Franco-prussienne et la perte de l’Alsace et de la Lorraine.

Sources:

I comme Invasion de Choléra-Morbus

J’ai récemment regardé le film de Jean-Paul Rappeneau « Le hussard sur le toit » avec Juliette Binoche et Olivier Martinez adapté du roman éponyme de Jean Giono. L’action se passe en 1832, dans le sud-est de la France, plus précisément dans la magnifique région de Manosque, alors aux prises avec le choléra-morbus qui fait des ravages à une vitesse foudroyante.

Tableau de parenté de Myheritage

Il se trouve que fin mai 1832, à des centaines de kilomètres de là, à Meung-sur-Loire, chef-lieu du Loiret, Antoine Pierre Guillaument, un cousin de Jean Matthieu Guillaumant mon ancêtre de 7e génération, est mort du choléra-Morbus. Je le sais car son acte de décès comporte la mention « cholérique ».

Comme il est très rare de savoir de quoi nos ancêtres étaient atteints ou mouraient, cette mention ne pouvait que retenir mon attention.

La France faisait alors face à sa seconde épidémie de choléra que l’on désigne dans bien des documents comme une « invasion ».

Meung-sur-Loire, Décès : registre d’état civil (1823-1832), 4 NUM 203/18,
Archives départementales du Loiret

Antoine Pierre Guillaument époux d’Henriette Ravel – No77 (cholérique)  L’an mille huit cent trente deux, le trente et un mai, à neuf heure du matin par devant nous adjoint délégué du maire à l’effet de remplir les fonctions d’officier de l’État civil de la commune de Meung-sur-Loire, chef lieu de Canton, Département du Loiret, sont comparus Louis Couté agé de trente six ans vigneron à Meung, et Hippolite Laguide (?) agé de quarante six ans infirmier à l’Hospice de cette ville, amis du défunt. Lesquels nous ont déclaré qu’Antoine Pierre Guillaument époux de Henriette Ravel, Tourneur à Meung est décédé hier soir à onze heures, en son domicile, rue du Tertre, à l’âge de soixante huit ans, dont acte que nous avons signé seul, les comparans ayant déclaré ne le savoir de ce enquis après lecture. Signé Gilles (?) Bigot

La dernière page du registre d’état civil pour l’année 1832 nous révèle que la commune de Meung-sur-Loire, qui avait alors une population de 5740 habitants, a connu son premier décès dû à « l’invasion » le 3 mai et le dernier le 7 octobre. C’est le mois d’août qui fut le plus terrible alors qu’on comptait 141 malades et 60 décès.

Durant ces cinq mois, un peu plus de 300 personnes ont contracté la maladie dont 125 en sont mortes. Les victimes sont surtout des femmes tant parmi les malades dont 126 hommes versus 181 femmes, que parmi les personnes décédées alors que 45 sont des hommes et 70 des femmes. Comme ce sont souvent elles qui s’occupent de donner les soins, ces statistiques n’ont rien d’étonnant.

Meung-sur-Loire, Décès : registre d’état civil (1823-1832), 4 NUM 203/18, Archives départementales du Loiret

Pour revenir au livre de Giono « Le hussard sur le toit« , à sa sortie en 1951, les critiques dénonçaient des libertés prétenduement prises avec la réalité historique surtout en ce qui concerne les symptômes décrits et l’importance de la propagation.

Si je me fie à l’adaptation cinématographique de 1995, dans le contexte exceptionnel de cette épidémie, les différents personnages de l’histoire passent par toute une gamme de sentiments et de comportements humains comme la peur, la colère, l’égoïsme et la cupidité mais aussi la compassion, le dévouement et l’entraide.

Ainsi la plupart veulent se protéger tandis que des médecins et quelques bonnes âmes se dévouent pour soigner les malades. Le peuple en colère cherche des boucs émissaires. Plusieurs se méfient de tout étrangers et sont prompts à les accuser d’empoisonner des puits ou à les enfermer dans des lieux insalubres ou encore dans des conditions propices à la propagation de la maladie. Alors que d’autres personnages cherchent à profiter de la situation en vendant à prix d’or tout service ou produit.

J’ignore sur quoi se basaient les critiques, mais mes très modestes recherches ont mis en lumière des cas très similaires tant dans le village même où vivaient mes ancêtres que dans la région.

Une misérable tentative de déstabilisation

Ainsi, alors que la maladie vient tout juste d’arriver dans la région d’Orléans, des individus s’ingénient à exacerber l’inquiétude populaire.

Le journal l’indépendant du 4 mai 1832

0n nous écrit d’Orléans, 27 avril : « Sur des bruits populaires, un juge d’instruction s’est rendu à Meung. Il est de retour depuis hier. Après avoir fait curer dans la matinée le puits d’où l’on avait tiré deux paquets de vert-de-gris, il a fait analyser l’eau. Cet examen a démontré que cette eau, loin de pouvoir empoisonner, n’était pas même susceptible de causer la plus légère incommodité. Plusieurs bouteilles en ayant été rapportées à Orléans, le même examen a été répété devant le préfet et le procureur-général. Le jury médical d’Orléans a fait la même déclaration que les pharmaciens de Meung. Il est devenu constant aux yeux des plus crédules que ces paquets avaient été jetés dans ce puits moins pour empoisonner que pour accréditer les bruits d’empoisonnement, et déjà on ne s’occupe plus de cette misérable tentative. »

L’histoire avait commencé quelques jours plus tôt comme rapporté par le journal :

Le journal l’Indépendant du 2 mai 1832

On écrit d’Orléans : « Mardi dernier, un homme qui puisait de l’eau au puits public de Meung-sur-Loire, en a retiré une assez forte quantité d’une substance verte qu’il s’empressa d’aller soumettre à l’autorité. Les investigations ordonnées par elle firent reconnaître dans cette substance du sulfate, du cuivre et du vert de gris. Deux morceaux de papier écrit qui paraissaient avoir servi d’enveloppe au poison, ont aussi été retirés du puits, et serviront aux recherches dont la justice s’occupe en ce moment. On se perd en conjectures sur le but réel d’un si horrible attentat. Serait-ce que les gens intéressés à égarer l’opinion publique, et qui ont fait courir les bruits d’empoisonnement, auraient voulu n’en pas avoir le démenti ! Cela parait probable ; quoi qu’il en soit, la carrière des suppositions est vaste en pareil cas. Espérons que les recherches de la justice ne seront pas infructueuses. M. le juge d’instruction d’Orléans s’est transporté en toute hâte sur les lieux. »

L’arrivée de l’invasion dans la région

Toujours dans la région d’Orléans, la presse nous en dit plus sur l’arrivée de « l’invasion de choléra » une dizaine de jours plus tôt.

Extrait de l’article Le choléra à Orléans en 1832 par Jacques Bonnet,
Bulletin de la Société Historique et Archéologique de l’Orléanais,
Séance du 8 décembre 1967

Le 17 avril 1832, le choléra fit son apparition à Orléans ; un jeune homme de 18 ans décéda rue de la Folie, avec quelques symtomes cholériques. Le lendemain, un maçon âgé de 50 ans, demeurant dans la même maison, subit le même sort ; puis les jours suivants, deux nouveaux cas, un rue de la Folie, l’autre rue de la Pierre-Percée.

Un hospice extraordinaire

Dans la région, comme ailleurs en France, les autorités se préparaient et identifiaient des lieux où rassembler les malades ou encore enfermer ceux que l’on soupçonnait d’être infestés afin de les tenir à l’écart de la population générale.

Extrait de l’article Le choléra à Orléans en 1832 par Jacques Bonnet,
Bulletin de la Société Historique et Archéologique de l’Orléanais,
Séance du 8 décembre 1967

Toutes les grandes villes de France, où s’entassait une population misérable, mal nourrie et mal logée, payèrent un lourd tribut au fléau : 18.402 morts à Paris, 706 à Lille, 275 à Bordeaux. Marseille, épargnée en 1832, puis frappée en 1834 : 3.200 morts.

Au début d’avril 1832, les victimes se comptaient déjà par centaines dans la capitale, mais Orléans était encore à l’abri du malheur. Les plus optimistes espéraient que le bon air de la région écarterait le choléra. Cependant, le Conseil municipal avait pris quelques mesures pour combattre une éventuelle invasion. Un local, la maison de la Croix, occupée par la troupe, fut choisi pour abriter un hospice extraordinaire.

À qui la faute ?

On cherchait un coupable à blâmer. Et si ce ne sont pas les étrangers, alors pourquoi pas les politiciens ou même la Révolution de Juillet aussi appelée les Trois Glorieuses car elle ne dura que trois jours (du 27 au 29 juillet 1830), donc deux ans plus tôt.

Extrait de l’article Le choléra à Orléans en 1832 par Jacques Bonnet,
Bulletin de la Société Historique et Archéologique de l’Orléanais,
Séance du 8 décembre 1967

La presse libérale mettait en garde la population contre les violences parisiennes où des bandes de forcenés avaient massacré d’inoffensifs promeneurs. Elle dénonçait les calomnies légitimistes qui accusait la Monarchie de Juillet d’avoir amené le choléra en France en accueillant les révolutionnaires polonais. Des rumeurs d’empoisonnement commençaient à circuler parmi les classes populaires.

Affiche se moquant de la campagne de désinformation
et de propagande qui blâme
la Révolution de Juillet 1830 pour le choléra

Sources:

A comme Alphabet de la Grande Guerre

Pour mon dernier article de l’année, je vous propose un sujet un peu plus ludique que d’habitude avec un livre pour enfants dont le sujet est cependant loin d’être enfantin.

J’ai découvert ce petit livre illustré par André Hellé et publié en 1915, durant la préparation de mon article sur les enseignants durant la Première Guerre mondiale. Cet alphabet était conçu à l’intention des enfants des soldats français. Avec la conscription obligatoire, tous les enfants, ou presque, avaient alors un père sous les drapeaux.

Avec lui, les enfants vont apprendre un nouveau vocabulaire militaire qui va bientôt faire partie de toutes les discussions. Voici, la table des matières surmontée de sept soldats en uniforme représentant les différents corps d’armée et les alliés.

Cet alphabet n’était pas officiellement utilisé dans les écoles, mais probablement que de nombreux enfants de familles plus ou moins aisées en ont reçu un exemplaire. Si les textes sont patriotiques et même revanchards vis-à-vis des Allemands, les illustrations ne montrent jamais de combat ni de troupes ennemies.

La première lettre de l’alphabet est consacrée à l’Alsace alors qu’on rappelle qu’elle a déjà fait partie de la France. L’image présente une population accueillant les énergiques troupes françaises avec des fleurs.

« Située à l’ouest du Rhin limite naturelle qui sépare la France de l’Allemagne, l’Alsace fut annexée à l’Empire allemand en 1871. En 1914, après la déclaration de guerre de l’Allemagne, les troupes françaises ont franchi la frontière pour reconquérir l’Alsace.« 

Pour B c’est la Batterie qui est à l’honneur. Alors que l’image représente un chariot monté d’un canon tiré par des chevaux montant une colline, le texte fait l’éloge d’un canon de fabrication française.

« Léger, souple, précis et rapide, le canon de 75, oeuvre des colonels Deport et Sainte-Claire-Deville a conquis, dès le début de la guerre, une incontestable popularité, grâce à son tir merveilleux. La batterie française de 75 se compose de quatre canons.« 

La Charge illustre le C avec des soldats qui se précipitent vers l’ennemi. Si cette charge semble glorifiée, elle est bien loin de la réalité sur le terrain.

« Malgré l’emploi des armes à longue portée, c’est l’attaque à la baïonnette, c’est la lutte corps à corps, homme à homme, qui décide de la victoire. La charge à la baïonnette est le moment suprême du combat. »

Le D ne pouvait être que pour le Drapeau entouré comme il se doit de soldats au garde-à-vous.

« Emblème national, le drapeau est aussi le signe de ralliement des soldats qui sont assemblés autour de lui pour le suivre ou le défendre. Un drapeau peut être décoré lorsque le régiment auquel il appartient s’est illustré dans un combat. »

C’est l’Estafette sur sa moto, fonçant en avant des troupes à cheval, qui illustre le E.

« Chargées de maintenir le contact avec des troupes éloignées les unes des autres, afin que les différents mouvements d’une action puissent être coordonnés, les estafettes appelées aussi agents de liaison, remplissent une mission dangereuse qui demande du courage et du sang-froid. »

Le Factionnaire qui exemplifie le F présente un soldat embusqué derrière un arbre. Celui-ci, chargé de tout son bardas, est installé dans une position peu confortable.

« L’oeil aux aguets, dissimulé de son mieux, le factionnaire regarde et écoute. C’est de l’attention qu’il apporte à son rôle que dépend le sort des troupes qui sont derrière lui, qu’il doit avertir de l’approche des ennemis. »

Les Grand’gardes illustrant le G sont dans l’attente d’une action avec leurs fusils installés en premier plan.

« En avant des forces principales, les grand’gardes sont installées pour arrêter un mouvement offensif de l’ennemi et donner le temps aux troupes qu’elles couvrent de se préparer à la défense ou d’envoyer des renforts pour repousser l’assaillant. »

Le H est pour Highlander, ces soldats écossais qui sont présentés de façon plus folklorique que militaire.

« Alliée de la France, la Grande-Bretagne a envoyé sur le continent plusieurs régiments de highlanders. Ces soldats d’élite, originaires des montagnes d’Écosse, portent le kilt, petite jupe courte qui leur laisse les genoux découverts, et vont à l’assaut au son de la cornemuse. »

C’est à l’Infirmière, seule présence féminine ou presque de ce livre, que revient la lettre I. Sans manquer de préciser qu’elles sont bénévoles et sous les ordres des médecins !

« Dans les ambulances, dans les hôpitaux et jusque sur le champ de bataille, des femmes dévouées viennent en aide aux blessés et leur donnent les soins prescrits par les médecins sous les ordres desquels elles se sont volontairement placées. »

Le J est consacré à la gloire du général Joffre !

« Après avoir décidé que « tous les efforts de l’armée devaient être employés à attaquer et refouler l’ennemi », le général Joffre, généralissime des forces franco-anglaises, remporta, le 13 septembre, la victoire de la Marne et anéantit le plan d’attaque brusquée allemand. »

Ce sont les milliers de Kilomètres de front, tant à l’est qu’à l’ouest, qui sont représentés sous le K.

« Jamais aucune guerre n’a groupé un nombre aussi élévé de combattants ni n’a comporté d’opérations se déroulant sur un front aussi étendu (3 000 kilomètres environ) que la grande guerre européenne de 1914. »

Le Lance-bombe, qui illustre la lettre L, est clairement une arme d’une autre époque, mais qui a fait ses preuves.

« Les armées de la Grande Guerre emploient des canons à longue portée qui envoient leurs projectiles à plus de 30 kilomètres : elles se servent aussi, pour la guerre de tranchées, des mortiers, crapouillots ou lance-bombes en usage au dix-septième siècle. »

Tandis que la Mitrailleuse du M fait partie des armes modernes du 20e siècle.

« Tapies à l’abri d’un talus ou d’un fossé, les mitrailleuses arrêtent souvent, par leur feu rapide et meurtrier, l’élan d’un adversaire décidé : dans un crépitement farouche, elles crachent sans arrêt leurs projectiles : la ligne ennemie fléchit, se relâche et l’attaque est brisée. »,

Le Noir pour N rappelle que la France, en tant que puissance coloniale, n’a pas hésité à faire appel à ses troupes d’outre mer pour participer à une guerre qui ne les concerne pas vraiment.

« Les Troupes noires formées avec les indigènes des colonies françaises d’Afrique, Algérie, Maroc, Sénégal ont été transportées dans le Nord dès le début des opérations et prennent part aux batailles de la Grande Guerre. »

La lettre O va à l’Observateur qui, de sa nacelle, repère les mouvements de troupes.

« Grâce à l’emploi du ballon captif, les officiers observateurs peuvent surprendre les mouvements de l’ennemi, repérer l’emplacement de son artillerie ou se rendre compte des résultats d’un tir. Ils transmettent leurs observations au commandement, qui prend ses dispositions en conséquence. »

Avec le Poilu pour illustrer le P, Hellé remonte jusqu’en 1793 pour faire un parallèle avec les soldats de la Convention. Une référence qui a dû bien peu résonner auprès de la plupart des jeunes lecteurs.

« Comme les soldats de la Convention se sont battus en 1793 pour les Droits de l’Homme, les « poilus » de la Grande Guerre, barbus ou non, se battent pour le Droit des Nations contre l’oppression et la suprématie de l’Allemagne. »

Le Q revient de droit au Quartier géneral où l’état-major étudie les cartes.

« C’est au quartier général que sont centralisés tous les renseignements concernant les emplacements, les forces et les ressources de l’ennemi. C’est du quartier général que partent, selon la situation, les ordres d’attaque, de maintien ou de retraite. »

Le R est représenté par une armée Russe à cheval et dans la neige alors que sa principale qualité semble être son énorme contingent.

« Depuis le commencement de la guerre, la vague gigantesque qu’est l’armée russe bat la frontière austro-allemande de tout le poids de ses neuf millions d’hommes en usant, dans son flux et son reflux, les forces de ses adversaires. »

Un Sous-marin, sortant des eaux est l’unique représentation de la supériorité de l’armement allemand.

« Les sous-marins doivent guetter et torpiller les vaisseaux de guerre ennemis. Contre le droit des nations, les sous-marins allemands ont détruit des navires de commerce, avec leurs passagers, et ces événements ont été célébrés dans leur pays comme de grandes victoires navales.« 

Le T pour Tranchée est illustré par des soldats en contrebas qui observent, grâce à un périscope, ce qui se passe sur le terrain.

« Pour se protéger contre l’artillerie, l’infanterie creuse des abris dans la terre et s’y dissimule : ces abris sont les tranchées. Au moyen du périscope, appareil à miroirs qui dépasse le talus de la tranchée, le guetteur suit les mouvements de l’ennemi. »

L’Uniforme du U est tout nouvellement bleu comme le ciel.

« Un uniforme trop visible présente de nombreux inconvénients pour la troupe qui le porte. A la capote indigo et au pantalon rouge qui se voyait de loin, on a substitué, en France, un uniforme bleu clair ou « bleu horizon ». »

Des Voitures bien particulières illustrent la lettre V.

« Les voitures automobiles blindées, portant des canons ou des mitrailleuses font de hardies reconnaissances, pour suivent de leur feu les zeppelins et les taubes et inquiètent l’ennemi par leur mobilité. Elles sont le plus souvent montées par des artilleurs et des marins. »

Encore une fois, Hellé célèbre les alliés. Cette fois, avec le W et les Wagons blindés belges.

« Les Belges dont le territoire neutre fut violé par les Allemands, ont opposé une résistance héroïque à leurs envahisseurs. Les trains blindés belges, armés de canons, peuvent se porter à toute vitesse vers le lieu du combat et soutenir les manoeuvres de l’infanterie. »

Pour le X, ce sont les chevaux de frise en forme de X qui illustrent cette lettre difficile.

« Les tranchées sont flanquées de mitrailleuses. Elles sont, en outre, protégées contre les attaques de l’ennemi par des réseaux de fils de fer barbelés, par des fossés et par des chevaux de frise qui ont la forme d’une rangée d’X aux extrémités acérées. »

Curieusement, c’est le Yacht qui illustre le Y, alors que la pratique décrite devait être plutôt exceptionnelle. Celà ressemble plutôt à une concession de l’auteur aux contraintes de l’alphabet.

« Par les soins de la Croix-Rouge, des chalands et des yachts de plaisance ont été spécialement aménagés pour recevoir des blessés près des lignes de combat et les transporter, par eau, vers le lieu de leur évacuation. »

Enfin, la marche est fermée par le Zouave qui illustre le Z en permettant à Hellé un rare trait d’humour qui cependant informe peu sur ce corps d’armée.

« Un humoriste a dit que les zouaves avaient été créés pour servir de sujet à la dernière lettre des alphabets illustrés. Mais ce n’est certainement pas leur seule raison d’être. Les soldats allemands qui les ont vus à l’oeuvre pourraient le témoigner.« 

J’ignore si des enfants de ma famille ont reçu ce livre en cadeau. Peut-être mon oncle Roger qui va avoir huit ans en 1915 et, par ricochet, sa soeur qui va en avoir onze. Mais vous, l’auriez-vous offert à vos enfants ou petits-enfants ?

De nos jours, cet alphabet est étudié dans certains lycées français, comme le lycée Pompidou, pour une analyse critique du visuel et du narratif tout en les replaçant dans leur contexte historique.

Sources :

Abécédaire de guerre – Mémoires de la Grande Guerre au Lycée Pompidou … (jimdofree.com)

E comme Explosion de gaz

L’explosion de gaz a eu lieu il y a exactement 96 ans, jour pour jour, soit le 26 novembre 1927 chez Mme Suzanne Ferreri, Lorcia de son nom de scène. À l’époque, Suzanne âgée de vingt-quatre ans est première danseuse à l’Opéra de Paris. Mais, c’est aussi ma grand-tante maternelle et j’ai déjà parlé d’elle dans cet article.

Suzanne habite alors au 1 rue Rossini, à quelques rues de l’Opéra. Elle a son propre appartement au quatrième étage tandis que ses parents et son frère cadet vivent dans le même immeuble mais un ou deux étages plus bas.

Le 27 novembre, soit le lendemain, l’explosion va être rapportée par plusieurs journaux avec différents degrés d’exactitude et même une certaine emphase ou dramatisation dépendant de l’importance accordée à la nouvelle. Ainsi, l’un va en faire un article de première page tandis que d’autres n’y consacreront que quelques lignes.

En première page

Le rapport le plus complet apparaît en première page du journal Le Quotidien qui en fait un compte-rendu quelque peu dramatique. Le Quotidien est le seul journal à avoir envoyé un photographe sur les lieux et à avoir fait une recherche dans ses archives, L’article, qui comprend également une photo et un portrait en médaillon, se lit comme suit :

Le Quotidien du 27 novembre 1947 p. 1/6

Une violente explosion de gaz se produit dans un appartement rue RossiniLa locataire, Mme Lorcia-Ferreri, artiste de l’Opéra, échappe à la mort

Une violente explosion de gaz s’est produite, hier matin, à 9 h. 15, dans un immeuble, 1, rue Rossini.

Par un hasard miraculeux, il n’y a pas eu de victimes, mais il s’en fallut de peu…

Depuis deux jours, M. Weill qui occupe un appartement au deuxième étage de la maison, s’était aperçu qu’une fuite existait sur la conduite principale qui passe dans sa cuisine.

Il prévint donc un plombier et, hier matin, un ouvrier, M. Pierre Lemoine, âgé de 28 ans, demeurant 149, avenue de Choisy, vint chez M. Weill pour effectuer la réparation.

Ne sentant qu’une légère odeur de gaz, et croyant se trouver en présence d’une fuite de peu d’importance, il se servit, comme il est d’usage, d’une allumette, pour la découvrir.

À ce moment, une flamme jaillit et, un instant plus tard, une explosion se produisit au quatrième étage, dans la chambre à coucher de Mme Lorcia-Ferreri, âgée de 24 ans, artiste de l’Opéra.

La jeune femme qui était encore couchée fut projetée hors de son lit et recouverte de débris de toute nature. Les meubles de la pièce avaient été défoncés. Un mur qui recouvrait une cheminée était ouvert sur une surface de huit mètres carrés.

Les pompiers furent mandés d’urgence, tandis que des voisins portaient secours à Mme Lorcia-Ferreri qui, fort heureusement, ne souffre que d’une légère commotion.

En deuxième page

Le journal Le populaire a, quant à lui, décidé de faire un condensé de l’essentiel de l’information vue dans le premier article. Sur un ton beaucoup moins dramatique, le journal se concentre sur les faits et fournit même de nouveaux détails qui semblent indiquer que le journaliste s’est soit déplacé sur les lieux de l’explosion, soit a eu accès à des sources fiables.

Le Populaire du 27 novembre 1927 p.2/6

Une explosion de gaz

Une explosion de gaz s’est produite hier matin vers 9 h. 15, 1, rue Rossini. Depuis quelque temps, une fuite de gaz avait été constatée et hier matin un ouvrier plombier, M. Pierre Lemoine, venait pour effectuer la réparation.

Croyant se trouver en présence d’une fuite de peu d’importance, le plombier la rechercha, ainsi qu’il est d’usage, à l’aide d’une allumette enflammée. Mais le gaz, depuis le temps, s’était accumulé dans une conduite de cheminée bouchée et désaffectée depuis longtemps.

Au contact de la flamme, la nappe de gaz fit explosion et creva la paroi de l’immeuble au quatrième étage, chez Mme Lorcia-Ferreri, 24 ans, artiste de l’Opéra. Au moment de l’explosion, la jeune artiste était encore couchée.

La jeune artiste fut projetée hors de son lit et légèrement blessée par les débris de poutres et de pierres. Elle souffre actuellement d’une légère commotion. Les mesures nécessaires ont été prises pour éviter un (sic) nouvelle explosion. Paris

Le journal La Volonté a également choisi de publier un article en deuxième page de son journal qui n’en comprend que quatre. Celui-ci est également un condensé de l’information relatée dans les articles précédents mais un certain nombre d’erreurs se sont glissées dans le texte.

La Volonté du 27 novembre 1927, p.2/4

Une artiste échappe à une explosion

Recherchant hier, une fuite de gaz dans l’appartement de M. Well, 1, rue Rossini un plombier, M. Pierre Lemoine, alluma une allumette. Immédiatement une déflagration se produisit qui par la cheminée, gagna l’étage supérieur et vint crever un mur dans la chambre à coucher de Mme Ferreri Dorcia, 34 ans, artiste de l’Opéra. Par bonheur, Mme Dorcia, qui était cauchée (sic) au moment de l’explosion n’a pas été blessée. Les pompiers ont éteint le commencement d’incendie.

Parmi les erreurs les plus évidentes, on peut noter le nom et l’âge de la victime ainsi que le nom de M. Weill chez qui avait lieu la fuite de gaz. Probablement une note manuscrite mal déchiffrée a fait que Lorcia s’est transformé en Dorcia et Weill en Well. Enfin, on mentionne l’intervention de pompiers pour éteindre un commencement d’incendie. La présence de pompiers sur les lieux est tout à fait logique. Cependant, le journal saute aux conclusions en mentionnant un incendie, qui même à ses tout débuts, aurait sûrement été mentionné dans les autres articles.

La même journée, deux autres journaux : La Presse et La Patrie rapportaient l’incident dans leur section « faits divers » ou « Menus faits » située au milieu de leur journal. Leurs annonces de quelques lignes sont identiques. Cela laisse à penser qu’elles ont été écrite par la même personne pour les deux journaux ayant probablement le même propriétaire.

La Patrie du 27 novembre 1927 p. 3/6 section Menus faits
La Presse du 27 novembre 1927, p. 3/6

Explosion de gaz – Ce matin à 9 h. 30, 1, rue Rossini, au premier étage, dans la chambre à coucher de Mlle Louise Ferreri, artiste lyrique, eut lieu soudain une formidable explosion de gaz. Mlle Ferreri fut fortement contusionnée. Le commissaire du Faubourg Montmartre enquête.

Déjà une demi-douzaine de points diffèrent entre les deux premiers articles et ces entre-filets : la date et l’heure ainsi que l’étage où s’est produit l’explosion ne concordent pas. Le nom de ma grand-tante a été changé de Lorcia à Louise et elle est présentée comme artiste lyrique alors qu’en fait elle est danseuse et non chanteuse. Sa légère commotion s’est transformée en forte contusion. Finalement, on nous dit que le commissaire du quartier enquête sur une affaire qui semble pourtant relever plus des pompiers ou des services publics que de la police.

Voici donc quatre versions pour un même évènement. Vu le nombre d’erreurs relevées dans les derniers articles, les journaux semblent utiliser de l’information de deuxième main ou encore notée rapidement au téléphone et non vérifiée avant d’aller sous presse. Comme quoi, il ne faut pas croire tout ce qu’on lit dans le journal.

Sources

  • Le journal le Quotidien du 27 novembre 1927, p. 1/6 – Retronews, BnF
  • Le journal le Populaire du 27 novembre 1927, p. 2/6 – Retronews, BnF
  • Le journal la Volonté du 27 novembre 1927, p. 2/4 – Retronews, BnF
  • Le journal la Presse du 27 novembre 1927, section faits divers p. 3/6 – Retronews, BnF
  • Le journal la Patrie du 27 novembre 1927 section menus faits, p. 3/6 – Retronews, BnF

S comme Soissons et son ouvrier municipal

Soissons est une ville de Picardie située à la jonction de l’Aisne et de la Crise. Elle est la deuxième plus grande ville du département de l’Aisne. De 1882 aux années 20, elle comptait parmi ses employés un certain Auguste Ernest Judasse.

Tableau de parenté de MyHeritage

Né à Laon dans l’Aisne en 1862 de père non nommé, Auguste Ernest est le fils d’Adélaïde Delphine Judasse alors âgée de vingt-quatre ans. Il est le cousin germain de mon arrière-grand-mère paternelle, Aline Judasse.

Auguste Ernest semble avoir eu une enfance sans histoire alors qu’il vit avec sa mère et son beau-père Jean Marie Jules Rozière, qui a épousé sa mère quelques années après sa naissance.

En 1882, il fait son service militaire dans les services auxiliaires et réside à Belleu dans la banlieue sud de Soissons, où il travaille comme manoeuvrier. C’est là, qu’il a épousé Louise Augustine Massias, à l’été 1889. Ensemble, ils auront cinq enfants et c’est à la naissance de l’avant-dernier en 1901, qu’il se déclare cantonnier, en d’autres mots employé au service de la ville de Soissons.

Son travail à la ville semble avoir évolué avec le temps car, alors qu’il est dit manoeuvrier puis cantonnier, je le retrouve plus tard identifié comme ouvrier et plombier municipal.

À Soissons, le cantonnier municipal est responsable de l’entretien de la voirie, des parcs de la ville et des berges et des quais de l’Aisne. C’est un métier physique qui s’exerce le plus souvent dans l’anonymat, mais qui peut parfois être plein d’imprévus comme le prouvent deux articles que j’ai pu retracer.

C’est ainsi qu’en 1898, alors qu’avec un collègue il creusait une tranchée, il a découvert une tombe comprenant six corps tournés vers l’est et séparés par des constructions ou des murets. Ces tombes, vieilles de plusieurs siècles et remplies d’artefacts, allaient être datées de l’époque mérovingienne.

Bulletin de la Société archéologique, historique et
scientifique de Soissons p.88 – 1898- Gallica

Découvertes mérovingiennes

Au mois de mars 1898, à Soissons, en creusant un puits sur le côté Est de l’ancienne poudrière dite de Saint-Léger, qui occupe à peu près l’emplacement de l’église Saint-Pierre-à-la Chaux, détruite il y a plus de soixante ans, on découvrait quatre sépultures qui n’étaient accompagnées d’aucun objet. Jeudi dernier, 30 juin, deux ouvriers de la ville (MM. Judasse et Roger) ouvraient une tranchée en avant de la même poudrière. Dans cette tranchée, ils rencontrèrent une muraille de deux mètres trente centimètres de longueur, faisant sans doute partie d’une des premières enceintes de Soissons ; et, au cours de leur travail, ils découvrirent les restes de six corps tournés vers le soleil levant et séparés les uns des autres par des constructions ou murs d’épaisseurs inégales.

L’article du bulletin de la Société archéologique, historique et scientifique de Soissons se poursuit sur deux autres pages pour relater et analyser la découverte ainsi que les autres corps découverts dans une fosse commune. Il n’est pas mentionné si Auguste Ernest Judasse a fait partie des fouilles subséquentes, mais c’est probablement ce qui s’est passé, sous la supervision attentive de professionnels en histoire et archéologie.

Bulletin de la Société archéologique, historique et
scientifique de Soissons extrait p.89 – 1898- Gallica

Parmi des ossements de femme, ils trouvèrent, à cinquante centimètres de profondeur, une bague en bronze avec chaton gravé, trois fragments de fibule, vingt-deux perles de collier, en pâte de verre, des débris de vase, deux petits objets en os et le restant d’une broche en verroterie, ayant au contre une turquoise que la pioche d’un ouvrier réduisit en poudre. Le samedi 2 juillet courant, dix squelettes étaient encore découverts — pêle mêle cette fois — dans la continuation du travail de tranchée, et rien n’était à recueillir. Mais, hier dimanche, les ouvriers, fouillant plus attentivement que le jeudi, à l’endroit même où avait été inhumé la femme dont il a été parlé plus haut, trouvèrent sous mes yeux, des objets non moins intéressants que les premiers, c’est-à-dire une plaque et une bouche de ceinturon argentées également un fragment d’épingle styliforme en bronze, des débris de poteries, etc. Tous ces objets, plus les trois quarts d’une meule en granit (sic), ont été réunis par moi et sont déposés au musée municipal, où ils vont être exposés à l’attention publique. Ils appartiennent incontestablement à l’époque mérovingienne et font bien partie d’un mobilier funéraire datant de douze siècles environ, car ils sont du même genre que ceux extraits du sol à Laffaux en 1853 et 1856…

Mais, cette découverte ne sera pas la seule occasion pour Auguste Ernest Judasse de faire parler de lui. Quelques années plus tard, on le retrouve dans la presse locale alors qu’il a aidé à l’arrestation d’un voleur de biens publics.

Le Réveil de l’Aisne Journal républicain
libéral du 15 mars 1911 – Gallica

Un voleur pincé Depuis quelque temps, M. Judasse, plombier au service de la ville, remarquait les allures louches d’un individu rodant dans les environs de l’ancienne poudrière du Mail, qui, comme on le sait, sert de magasin de dépôt. Plusieurs fois même, M. Judasse l’aperçut porteur d’un sac qui paraissait assez pesant. Or, vendredi après-midi, passant rue de Pamplume, l’ouvrier de la ville se trouva tout à coup en face dudit individu qui entrait chez M. Plichon, marchand de ferrailles. Quelques instants plus tard, et après que l’homme fut sorti, M. Judasse entra à son tour chez M. Plichon et fit mettre de côté deux coudes de gargouille qu’il reconnut comme ayant été dérobés au dépôt de matériaux de la ville. Le signalement de l’individu fut transmis aux agents de police, qui eurent tôt fait de lui mettre la main au collet. C’est un nommé Léon Hentz, âgé de quarante-sept ans, originaire de Crépy-en-Laonnois, veuf et père de trois enfants. Il a été écroué à la prison de Soissons en attendant de répondre de son larcin devant le Tribunal.

Peut-être lui est-il arrivé d’autres aventures, mais ce sont les deux seules mentions que j’ai pu trouver. Dans un cas comme dans l’autre, cela a dû alimenter bien des conversations tant avec les collègues qu’en famille.

Auguste Ernest Judasse est décédé à l’âge de soixante-trois ans, fin mars 1925. J’imagine qu’il a passé toute sa vie professionnelle à l’emploi de la ville de Soissons.

Un métier qui n’est pas de tout repos

Inondations du 29 janvier 1910
Obsèques du cantonnier Dureuil, victime du devoir
à Charenton-Alfortville – Geneanet

Il était en première ligne lors des inondations de 1910 et a participé au nettoyage des rues, parcs et berges. D’autant plus, que ce n’était pas sans danger alors que, dans d’autres municipalités, des cantonniers sont même morts dans l’exercice de leurs fonctions.

Pire encore, il était en poste lors des bombardements de la Grande guerre. Je l’imagine dans les rues en ruine, ramassant les débris et gravats des immeubles détruits ou endommagés par les bombes. D’ailleurs, même l’hôtel de ville, à tout le moins son portail avait été en partie détruit.

Comme nous le montrent plusieurs cartes postales de l’époque, la ville fut durement touchée durant les bombardements allemands de 1915, puis à nouveau durant ceux des alliés, en 1918, visant les installations et stocks allemands. Mais un travail impressionnant a alors été fait pour dégager les rues et permettre la libre circulation.

En tant qu’employé municipal, il a sans doute aussi été mis à contribution pour l’aménagement d’abris anti-aériens ou de passages afin d’aider à l’évacuation des populations.

Heureusement, il a vécu assez longtemps pour assister et peut-être même participer aux efforts de reconstruction et voir plusieurs aspects du nouveau Soissons.

Sources :

M comme Mort pour la France

En cette fin octobre, je termine cette série d’articles sur la Grande Guerre en relevant une fois de plus, la proposition de #Généathème de parler de nos ancêtres ou des membres de notre parentèle morts au combat.

L’an dernier, à l’occasion du 11 novembre et du jour du souvenir, je vous avais parlé ici des monuments aux morts et de mon grand-père mort en 1916. J’avais également retracé les circonstances de son décès dans l’article « D comme Décédé à l’ambulance« .

Le thème de ce mois-ci, me permet de revenir sur un document qui m’a été confié lors de ma dernière visite en France au printemps dernier. C’était une lettre que je n’avais jamais vue, dans un beau cadre qui avait probablement été longtemps accroché au mur du salon ou de la salle à manger en souvenir du soldat, mais surtout du mari et du père, qui n’était plus là.

Lettre originale reçue par la famille d’Édouard Guillaumant
collection privée

En ouvrant le cadre, j’ai découvert qu’il s’agissait d’une copie et que l’original se trouvait protégé à l’endos. Cet original consiste en une lettre du ministère de la Guerre toute simple, au papier très fragile et jauni, annonçant la remise d’une médaille militaire au soldat Guillaumant Édouard du 31e régiment d’infanterie.

Intitulée Médaille Militaire, cette lettre est une lettre type comme des centaines et des milliers ont dûes être envoyées. Elle fait suite à un arrêté ministériel du 22 avril 1920, publié dans le journal officiel du 16 septembre 1920. Elle est signée le 29 juillet 1921 à Meulin par le Colonel Mondange commandant le 31e régiment d’Infanterie et officier chef du Bureau liquidateur de ce régiment.

Croix de guerre avec étoile d’argent

Outre le nom du soldat, la seule section manuscrite, qui est probablement la retranscription d’un rapport, se lit comme suit : « Soldat courageux et dévoué. A été mortellement atteint le 14 septembre 1916 à Boucharvesnes en se portant à l’assaut des bastions ennemis. » « Croix de fer avec étoile d’argent »

Copie de la lettre du ministère de la guerre et médailles –
collection privée

Le nom Guillaumant semble avoir été mal orthographié et on peut se demander qui a fait la rature : l’administration ? Sa veuve ? Ses enfants ?

La note de bas de page indique que cette lettre sera remplacée par un brevet devant être délivré par la Grande Chancellerie de la Légion d’honneur. J’ignore ce qu’il est advenu du brevet mais, c’est sur la copie de la lettre qu’ont été épinglées deux médailles.

La première avec l’étoile d’argent sur ruban vert rayé de rouge est celle promise à la mémoire d’Édouard.

La croix de guerre est une nouvelle médaille, créée en 1915. Celle de mon grand-père porte au revers 1914-1918 mais le gouvernement en a fait faire plusieurs éditions au fur et à mesure que la guerre se poursuivait. Ainsi, la première portait 1914-1915, puis 16 et 17 jusqu’à la fin de la guerre en 18. Malheureusement, les récipiendaires se comptent par milliers et de nombreuses croix ont été descernées à titre postume. Dans ce cas, l’administration avait même établi un ordre de priorité pour la recevoir avec dans l’ordre : les enfants soit le fils ainé ou à defaut la fille ainée, la veuve, le père, la mère, le frère ainé ou à défaut la soeur ainée, etc.

Médaille militaire

La deuxième, avec un ruban jaune bordé de vert, porte à l’avers l’effigie de la République entourée des mots République Française 1870 et au revers gravé au centre du médaillon « Valeur et discipline ». Il s’agit de la Médaille militaire créée en 1852 par Napoléon III. C’est la plus haute distinction que l’on puisse remettre à un soldat en reconnaissance, entre autres, d’une blessure au combat. À la suite de la Grande Guerre plus de 950 000 médailles ont été remises souvent à titre posthume.

Pension de veuve et pupilles de la nation

Extrait du Journal officiel du 17 avril 1918

Heureusement, le gouvernement n’avait pas attendu après ça pour octroyer une pension à sa veuve. Ainsi, le 17 avril 1918, Christine Frey reçoit par décret une allocation de veuve de guerre de 563 francs par an, rétroactive au 18 septembre 1916. Moins d’un mois plus tard, le 10 mai 1918, leurs trois enfants étaient reconnus comme pupilles de la nation.

Sur le champ de bataille

Il faut dire que, selon le récit de la journée que l’on retrouve détaillé sur trois pages (p. 23 à 25) du journal de marches et opérations, le 14 septembre, le 31e régiment d’infanterie s’est retrouvé isolé face aux tirs ennemis.

Extrait du journal de marches et opérations du 31e régiment d’infanterie pour le 14 septembre 1914 – p. 24
Site Mémoire des Hommes

Si les gains sur le terrain étaient minimes, soit de 500 à 900 mètres sur un front d’un kilomètre, les pertes humaines ont été énormes et les blessés se comptaient par dizaines. Tant le poste de secours que l’hôpital de campagne ont été rapidement débordés.

Extrait du journal de marches et opérations du 31e régiment d’infanterie pour le 14 septembre 1914 – p. 25
Site Mémoire des hommes

À l’ambulance

Ce que cette lettre ne dit pas, c’est que selon ses compagnons d’armes, les blessures d’Édouard n’étaient pas mortelles. Les infirmiers et brancardiers de l’ambulance l’avait retrouvé vivant et ramené à l’hôpital de campagne situé à une quarantaine de kilomètres du champ de bataille. Si il est mort quelques jours plus tard soit le 17 septembre, c’est probablement de complications septiques.

Les infections étaient courantes et à l’époque on commençait tout juste à découvrir les vaccins contre le tétanos et autres virus. La pénicilline contre les bactéries ne serait, quant à elle, vraiment découverte qu’une dizaine d’années plus tard.

Tombe d’Édouard Guillaumant, Mort pour la France
Nécropole nationale de la Cote-80 – Geneanet

Impossible de dire, cependant s’il aurait mieux fait de rejoindre les 2,8 millions de blessés français. Nombreux sont ceux qui ont souffert toute leur vie de leurs blessures de guerre.

Nécropole nationale de la Cote-80

Actuellement, Édouard Guillaumant repose avec plus de mille autres compagnons d’infortune à la nécropole nationale de la Cote-80, à quelque trois kilomètres au nord d’Étinehem, dans la Somme. À perte de vue, s’alignent les centaines de croix de pierre portant une plaque noire sur laquelle on peine à lire les quelques renseignements comportant le nom du soldat, la mention « mort pour la France », le régiment et la date du décès.

Il paraît que le lieu est bien visible et facile à trouver, grâce au drapeau français qui flotte au haut d’un mât.

Sources:

  • Wikipedia : Nécropole nationale de la Cote-80
  • La médaille militaire sur le site de la Grande chancellerie de la Légion d’honneur
  • La croix de guerre, une nouvelle décoration sur Aujols-Laffont.blog4ever.com
  • Journal officiel du 17 avril 1918 – Gallica
  • Journal des marches et opérations du 31e régiment d’infanterie, p. 23 à 25, Site Mémoire des Hommes https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/
  • Le calvaire des blessés – 11 novembre 1918 – 2018, Paris Match publié le 7 novembre 2018
  • Geneanet pour la photo de la tombe d’Édouard Guillaumant